David Giancatarina In Progress
Photographe professionnel et artiste, David Giancatarina mène de front plusieurs pratiques du médium. Entretien avec un photographe en perpétuel questionnement sur sa relation à l’image.
Propos recueillis par Christophe Asso
Quel a été votre premier contact avec la photographie ?
J’étais au lycée. Olivier Menanteau, photographe, était venu faire un atelier dans mon lycée à Cavaillon pendant un an ou deux. Il avait transformé une salle de classe en labo. On était en argentique forcément à l’époque et on était une dizaine. Chacun faisait les travaux qu’il voulait. On avait vraiment tous des boulots très différents. Il y avait un gars qui avait une maladie de peau. Jérémy, il s’appelait. S’il se donnait un coup d’ongle, ça faisait un trait. Il écrivait sur son corps et se photographiait. Il y avait une fille qui faisait uniquement du portrait. Moi, je faisais des choses qui étaient de l’ordre du paysage, mais en négatif papier. Des choses un peu étranges. On avait fait une expo d’ailleurs. C’était très chouette. J’ai intégré l’atelier et comme j’étais tout le temps à l’atelier, j’ai raté le bac. C’est comme ça que j’ai commencé. Sinon, je n’étais pas du tout « programmé » pour aller vers quelque chose d’artistique. Ce n’était pas trop commun dans ma famille, on va dire. J’étais plutôt bon en maths, j’étais en terminale scientifique, mais pour plein de raisons, je ne suis pas allé jusqu’au bout et j’ai intégré les Beaux-Arts de Marseille en voulant dès le départ faire de la photo ou du cinéma. C’était le gros dilemme. Ce qui m’a fait choisir la photo, c’est qu’on pouvait travailler seul. A l’époque, si on avait bien réussi le concours, on pouvait rentrer aux Beaux-Arts sans avoir le bac. Je suis rentré aux Beaux-Arts comme ça, en étant absolument nul en dessin. J’ai même été dispensé de cours de dessin en deuxième année tellement c’était une catastrophe. Je savais très bien juger les dessins des autres, mais j’étais incapable de faire trois trucs qui ressemblent à quelque chose. Je suis allé très vite vers l’image, le dessin ne m’intéressait pas plus que ça. J’étais vraiment attiré par l’image et par cette fausse objectivité.
Marseille à l’époque, c’était la ville pas chère, l’eldorado facile. C’était très sympa. On pouvait se loger pour rien. Je ne sais pas si jeune aujourd’hui, je serais venu à Marseille. Juste avant de passer le concours des Beaux-Arts, je travaillais sur les décharges publiques. C’est un peu grâce à ce travail que j’ai eu le concours. À l’époque, il n’y avait pas d’incinérateur ni quoi que ce soit. C’était les décharges publiques en Provence, en plein champ, et j’y passais régulièrement une fois que les choses étaient bien consumées, puisqu’ils mettaient le feu une fois par semaine. Je photographiais ça en permanence et j’ai arrêté le jour où j’ai photographié un tas de livres en feu. Au milieu, il y avait un livre ouvert avec le titre Einstein et l’univers, cette image représentait si bien toute la série. Je me suis arrêté là. Je suis rentré aux Beaux-Arts en 1991 en montrant cette série. Quand j’ai fini les Beaux-Arts, en dernière année, j’avais les clés du labo l’été pour me faire un book. Je devais y aller. Je pars au labo avec tous mes négatifs sélectionnés. La seule fois de ma vie où il y avait tous mes négatifs qui m’intéressaient regroupés dans un classeur. J’arrive aux Beaux-Arts, panne d’eau, je rentre. J’habitais en centre-ville, au sixième au dernier étage. Sur la route, je fais trois courses, je rentre chez moi, je me gare rue Grignan. J’avais plein de choses à décharger et au final, je me dis : « La valise avec tous les négatifs, je la laisse. Demain matin, je repars aux Beaux-Arts, il y aura de l’eau. » On m’a fouillé la voiture dans la nuit et tous mes négatifs de deux ans avant le bac jusqu’à la fin des Beaux-Arts ont disparu. Pour être plus précis, une fois éparpillés sur la chaussée, ils ont été balayés et jetés dans une poubelle, emportée juste avant mon arrivée. Ce fut une belle table rase. Pendant deux ou trois ans, je n’ai pas fait d’images. J’ai donné des cours dans le cadre du service civil à l’armée. J’ai été recruté par une association pour un projet d’insertion par le photoreportage. Ça s’adressait à des jeunes qui étaient un peu sortis du système et le reportage permettait de recréer un lien avec les gens. Je leur donnais des cours de reportage alors que je n’en ai jamais fait de ma vie. Ce n’était pas ma tasse de thé mais j’en connaissais les ficelles. L’association s’appelait Artmédia au départ, puis Initial. Aujourd’hui, elle est devenue Urban Prod, dont j’étais le fondateur. Quand je suis arrivé, j’ai développé le côté informatique. J’ai passé ma quatrième année de Beaux-Arts en Angleterre, à Bristol, pour apprendre l’usage du premier Photoshop, la programmation de CD-ROM et les premiers sites internet. C’était assez drôle et mon idée quand j’ai voulu développer l’association, c’était de créer une maison de prod pour artistes. À l’époque, il y avait Chris Marker qui avait sorti Immemory. Ça me plaisait bien. C’était à la fois très technique et en même temps ça ouvrait un nouveau champ pour les artistes. Pour des raisons politiques l’association s’est de plus en plus orientée vers l’accès à internet dans les cités, dans les collèges, en ZUP. Ça a grossi, le rapport à la création a disparu, je suis parti. C’est à ce moment que j’ai démarré en tant que photographe. Les premières années, j’ai surtout fait du boulot perso, j’ai beaucoup voyagé.
Sur votre site internet, vos travaux sont classés en trois catégories : recherches artistiques, photo documentaire et photo professionnelle.
Au départ, j’avais plusieurs sites internet, un pour chaque activité, mais c’était difficile, je bosse autant pour de la photographie d’architecture, d’œuvres d’art que corporate, et en même temps, j’ai mon boulot perso ainsi que des travaux typiquement documentaires. Le problème, c’est que les gens vont te chercher par rapport à ton nom. Si quelqu’un me cherche pour telle ou telle chose et qu’il tombe sur le site à côté, ça ne marche pas. J’ai décidé de faire un truc à l’anglaise ou je mélange tout. En fin de compte, même si je ne mets absolument pas tout ça au même niveau, c’est toute ma production. Ça peut faire grincer autant d’un point de vue artistique que d’un autre, parce qu’une institution peut se dire : « Ce n’est pas un artiste, c’est un photographe professionnel » ; tout comme un PDG peut avoir peur de faire travailler un artiste. Je n’ai pas trouvé de meilleure solution. J’aurais peut-être dû prendre des noms d’emprunt pour la photo professionnelle, mais c’est trop tard. Maintenant, je l’assume complètement, ça ne pose plus trop de problèmes. C’était compliqué justement quand je travaillais sur le paysage urbain. Suite à mes expos de paysage urbain, j’ai eu des architectes qui sont venus me voir. Où est la limite entre le boulot perso et le boulot de commande ? J’ai eu des cartes blanches d’institutions comme le Conseil d’Architecture d’Urbanisme, le Conseil Départemental, la Ville de Marseille. Sur mes sites internet, c’était l’enfer tout ne rentrait pas dans des cases, et souvent les frontières n’étaient pas étanches. Aujourd’hui dans mon boulot perso, je suis beaucoup plus sur des photographies de studio, des photographies plasticiennes avec une tendance conceptuelle. C’est plus simple de faire la part des choses. Même si en ce moment, ça me titille un peu de revenir sur le documentaire.
Parlez-moi justement des Paysages urbains.
Ça a duré cinq ans, de 1998 à 2003. Ce qui m’intéressait, c’était de photographier des tableaux dans la ville qui n’étaient pas créés par un urbaniste ou un architecte, qui étaient créés par la vie des gens, les strates, les choses qui survivent l’une par rapport à l’autre, et faire ça dans le monde entier parce que ce sont des épiphénomènes que l’on retrouve de partout. Quelque part, ces épiphénomènes peuvent être quasiment similaires d’une ville à l’autre et à la fois il y a des images qui étaient très ancrées culturellement, mais il y a toujours quelque chose qui est de l’ordre de l’aléatoire. C’est ce qui me plaisait bien là-dedans. Mes premières photos ont été faites en Inde par hasard. Suite au vol de négatifs, je suis parti en Inde pour voir mon ami d’enfance. J’arrive là-bas, c’était Goa, le côté bling bling et touristique de cette zone, ça m’a très vite gonflé et au bout de cinq jours, je suis parti. On m’avait prêté un vieux Rolleiflex et je me suis baladé en Inde. J’ai bourlingué pendant un mois et c’est la seule fois de ma vie où j’ai fait des images sans concept, sans projet. Quand je suis revenu et que j’ai développé les films, je me suis rendu compte que ce qui me plaisait bien, c’était ces vues de paysages urbains qui étaient un peu hors champ, une scène. Je ne sais pas comment dire, pas complètement hors champ, mais ces portraits d’aléatoire, ces coupes dans la ville, ça me parlait. J’avais rencontré l’attaché culturel de New Delhi à l’époque, juste avant de partir et on avait bien accroché. Il m’avait dit : « À l’occasion si vous voulez me montrer des images pour voir ce que vous avez fait en Inde. » Il avait bien accroché aussi sur ces premiers paysages urbains. Il m’avait passé une commande pour revenir, pour aller dans une autre partie de l’Inde que je n’avais pas faite. En parallèle, il y avait eu Avignon capitale européenne de la culture et un mécène m’avait commandé un travail similaire sur Avignon. J’avais enchainé une bourse de la Ville et de la Région pour faire Marseille paysages urbains. Le but c’était de faire encore plus d’images mélangées. En Inde, j’ai fait une expo France-Inde avec Avignon, Marseille et dix villes en Inde. C’était une expo itinérante qui a voyagé dans dix villes pendant deux ans avec l’Alliance française. C’était en 2003. J’y suis allé pour le vernissage inaugural. Je suis même passé à la télé. Ils m’avaient mis du fond de teint à l’indienne, c’était quelque chose. J’espère que cette cassette n’existe pas. Il faisait 150 degrés. Je transpirais sous un fond de teint, pas du tout ma carnation de peau, c’était l’enfer.
Suite à ça j’ai eu pas mal de commandes d’archi et d’institutions. En faisant le livre Paysages Urbains je suis arrivé au bout du projet. J’avais l’impression de retrouver les mêmes schémas et ça devenait presque de la photographie de commande alors que je voulais absolument être libre dans ce que je faisais. J’aime bien découvrir et chercher les choses. Quand je sais trop faire ça me rappelle trop mon boulot pro et donc je ne vais pas là-dedans. Ce n’est peut-être pas forcément bon pour une carrière artistique, parce que souvent on aime identifier le travail d’un artiste, et ne pas faire la même chose toute sa vie, c’est brouiller les pistes. J’ai envie de me poser des questions en permanence, d’apprendre, de tenter de comprendre…
Justement par rapport à la démarche artistique, j’aimerais comprendre comment, quand vous êtes sorti des Beaux-Arts, avez-vous envisagé de vivre de la photographie ?
Ce qui s’est passé, c’est que j’ai eu ce sas de l’armée civile dans l’association, j’étais formateur. On a fait plusieurs bouquins. Un des jeunes que j’ai formés avait eu le prix Hachette du reportage à l’époque. C’était un peu un sas pour moi parce que j’étais un bleu, comme on dit. A cette époque, les écoles des Beaux-Arts étaient beaucoup plus coupées du monde, on ne cherchait pas trop à savoir ce que l’on ferait ensuite, on vivait l’instant présent, comme un espace de liberté. Ce premier job m’a permis de rentrer un peu dans le système associatif, de voir comment ça fonctionnait, ce qui m’a donné aussi la possibilité de faire des dossiers par la suite pour avoir tous ces financements. Une fois terminé le service, j’ai été salarié pendant deux ans. Ensuite, je vivais de mes bourses, plutôt je vivotais de mes bourses, tout le fric allait dans des labos, clairement, mais bon, j’étais jeune, c’était la belle vie. Tu fais le tour du monde, tu ne te poses pas trop de questions. C’était génial.
À l’époque, j’ai fait le Grand Chelem au niveau des aides et en même temps, je n’ai pas gagné un rond. Un jour, j’ai arrêté parce que le banquier m’a appelé, ça n’allait plus du tout… Tout allait dans le travail. J’étais à fond dedans, je dormais peu. C’était à la fois chouette, mais en même temps, ça ne pouvait pas être pérenne faute d’avoir pu rentrer galerie parisienne ou autre. J’ai failli plusieurs fois, mais après, il y a une question de karma. J’ai souvent fini numéro deux sur pas mal de trucs. J’ai participé à un Project Room à la galerie Roger Pailhas qui a bien marché, mais c’était la fin de la Galerie… J’ai fait une expo dans une galerie Parisienne, elle a fermé deux expos plus tard. La faute à pas de chance. Le truc qui a été le plus dur à l’époque, c’est quand tu débarques comme ça, que t’es jeune, que tu te lances, que t’es à fond, tu sais qu’il faut arriver à rentrer dans le marché ou à rentrer dans une agence si tu veux faire du reportage. Un jour, je devais avoir un dix pages dans un cahier central d’un magazine. C’était un truc qui était envoyé à tous les architectes et urbanistes. Ça dépendait d’un ministère il me semble, je ne sais plus lequel. Ils avaient fait un premier numéro et moi, j’étais dans le second numéro. C’était génial pour moi à ce stade, une carte blanche sur dix pages, ça devenait l’édition. Juste avant de le mettre sous presse, le magazine a été abandonné pour une histoire administrative de statut, de concurrence déloge, un truc du genre. J’ai eu souvent des expériences de la sorte, des faux départs. Après, comme j’aime aussi pas mal être indépendant, j’ai essayé de gagner ma vie comme je pouvais en tant que photographe professionnel.
Parlez-moi du livre Paysages urbains.
L’éditeur, c’était moi, le graphiste, c’était moi. J’ai du mal à déléguer, mais dans ces projets-là, ce n’est pas tant ça, c’est surtout que ça coûte beaucoup moins cher. Comme je te le disais, j’aime bien apprendre, du coup ça me permettait de voir un peu toutes les facettes du métier et vu le temps que j’ai passé à faire la maquette, ça n’aurait pas été rentable pour le graphiste, ça, c’est clair. Par ailleurs, j’avais déjà travailler en tant que maquettistes sur divers ouvrages. Tout faire, ça me permettait de faire le bouquin plus facilement. J’en ai vendu 500 exemplaires en trois semaines. Je l’ai diffusé en direct en le déposant moi-même dans toutes les librairies. C’est un gros défaut de faire ça car tu n’as pas de presse derrière. Il se vend bien, ce n’est pas un souci. Il se vend aussi bien que si tu passais par un éditeur connu. Surtout qu’à l’époque, il y avait beaucoup moins d’offres. Le problème c’est qu’il ne va peut-être pas être offert aux personnes qu’il faut ou vu dans tel ou tel magazine ou quoi que ce soit. Le souci que j’ai et que j’ai toujours, c’est que j’aime bosser et je ne suis peut-être pas assez stratège. Tu vois à cette époque-là, je pense que j’aurais pu vraiment transformer l’essai mais j’étais sur autre chose. Je n’ai pas assez poussé le boulot. En tout cas, ce boulot, ce livre là, je le revendique toujours aujourd’hui. C’était une belle expérience. C’était un petit format qui était très agréable à lire. C’est un 23 par 15 à l’italienne, une espèce de carnet de route. Honnêtement, j’ai souvent pensé que la finalité d’une série photographique, c’est avant tout le livre. Parce que pour moi, il y a très peu d’images qui existent par elles-mêmes. C’est avant tout une série. Même si ce n’est pas travailler en tant que série, c’est au moins le travail d’un artiste. J’ai le même rapport avec l’art contemporain. J’ai beaucoup de mal à voir les expositions collectives parce que tout se bouffe et s’annule. J’aime bien rentrer dans la tête de quelqu’un. Ce n’est pas Dans la peau de John Malkovich, mais quand tu vois un Beuys et un Klein côte à côte, ça ne marche pas en fait. Tu peux trouver un sens. Tu peux avoir un curateur qui va se placer avant les artistes, mais ce n’est pas comme ça que tu rentres dans la finitude du travail. Je ne m’y retrouve pas là-dedans. Je n’ai pas fait art mais com aux beaux-arts, je n’ai pas fait une école de photos. J’avais le cul entre deux chaises, entre plasticien et photographe. Je n’arrêtais pas, je dis toujours que je me baladais avec des fantômes ou avec des amis imaginaires, j’avais l’impression que j’étais dans ma tête en permanence. Je pouvais passer quatre semaines en Inde, je ne parlais quasiment à personne. De toute façon, je ne parlais pas indien, j’arrivais dans les restos, je choisirais mes plats en les montrant du doigt, et j’étais dans ma tête, dans mon monde. Je discutais intérieurement avec Fellini, Pasolini, les Becher et tant d’autres. Je suis quand même quelqu’un qui doute beaucoup. Le doute est même parfois un moteur dans ce que je fais. Quand j’arpentais les terres d’Inde, je me disais, mais finalement je fais des photos, mais il n’y a aucun rapport à l’instant, sans parler de l’instant décisif. Dans ce rapport-là à l’image, fixer quelque chose et condenser le temps, je me disais que la faiblesse, elle est peut-être là. J’ai fait une photo où on voit des blocs de pierre dans un espèce de terrain vague. On dirait quasiment des tombes. Je trouvais que le temps était complètement suspendu à cet endroit-là. Tu aurais pu être dans un paysage à Athènes. Je suis repassé le lendemain matin, c’était un véritable champ de bataille, il y avait des bulldozers partout en action. Ils avaient tout poussé. Ils allaient construire un gros immeuble à la place. C’est à ce moment précis que j’ai réalisé que la ville est en mouvement permanent. Même ces choses qui nous semblent figées, ce sont des vues de l’esprit. Pour ce qui est du texte, il est de Charles Floren. Il a beaucoup écrit de textes par la suite pour des artistes et des photographes. C’est un professeur agrégé de philo qui travaille à Marseille et qui a une très belle plume.
Je lis que le livre a été imprimé par Amigon (imprimerie à Salon de Provence à l’époque).
Ça a été le dernier bouquin couleur imprimé sur cette machine. Ils avaient une vieille machine avec un super conducteur. C’est le type de conducteur qui pose sa gitane sur le bord de la machine pour régler les buses les yeux fermés, tu as l’impression que c’est un magicien. Quand le gars a pris sa retraite, ils ont revendu la machine, trop compliquée à gérer. Lui, il savait très bien le faire. Ça a été un peu compliqué à imprimer parce que c’était sur du couché bouffant. C’est le premier papier arctic qui est sorti, mais il était très dur à caler. Tu partais vraiment dans des dominantes tout de suite. C’était un peu chaud, et les scans à l’époque étaient moins fins que ce que l’on pourrait faire aujourd’hui.
Pouvez-vous me parler de vos recherches artistiques : Composition, #cheapcomposition, Manière noire ?
Les #cheapcomposition pour moi, ce n’est pas foncièrement un travail, c’est une espèce de carnet de notes sur la ville, mais ça me fait bien rire. Ce sont des petits clins d’œil, une collection de formes. Un peu pour les mêmes raisons, je vais souvent sur les vide-greniers et les petites brocantes, juste pour voir des formes différentes. Tu vois on est dans une société où tout est tellement uniformisé. Je suis inscrit sur deux ou trois newsletters de design. Au bout de 15 jours, tu trouves que c’est génial tout ce qu’il y a. Au bout de six mois, tu as l’impression de voir toujours la même chose. J’ai besoin de temps en temps de me ressourcer de formes. Ces #cheapcomposition, ça rejoint un peu les Paysages urbains. Ce sont des formes et des tableaux aléatoires dans la ville qui me nourrissent.
J’y voyais effectivement un rapprochement. Dans la section Photo documentaire sur votre site, il y a beaucoup de choses. Comment les avez-vous classées ? Chronologiquement ?
Il y a des choses qui se chevauchent, mais oui, c’est à peu près ça. Avec des gros trucs ratés au milieu, mais j’ai joué le jeu de tout mettre ou presque.Il y a des travaux qui me tenaient à cœur, mais je n’ai jamais eu le temps de les finaliser et je n’aime pas faire les choses à moitié. C’est resté un peu en suspens, comme la partie Ma Provence par exemple. C’est un regard un peu acide sur la Provence contemporaine. La Maison Phénix en carton-pâte. C’est un boulot que j’aimerais bien poursuivre, mais qui demande énormément de temps et financièrement, je n’y arrive pas. Il y a un boulot que j’aimerais bien refaire, mais je pense que quelqu’un a dû s’y mettre depuis le temps. Je te parlais tout à l’heure que j’étais beaucoup dans le doute. J’ai eu une résidence à Berlin. J’ai passé un mois à me dire : « C’est bien, ce n’est pas bien, je le fais, je ne le fais pas ! ». L’idée, c’était de photographier Berlin pour en finir avec le mur. Ils avaient fait disparaître le tracé du mur. C’était un effacement de l’histoire sur la carte et je trouvais ça assez fort. Du coup je voulais photographier des vues de Berlin avec dans la vue, le mur invisible. C’est-à-dire une vue où je traversais le mur par la vue. Il y a des endroits où il n’y a quasiment plus la trace du mur, des paysages impossibles du temps du mur. Au départ, le projet était de faire une vue d’un côté, une vue de l’autre. En fait, autant j’adore l’art conceptuel, autant parfois quand visuellement ça n’a pas d’intérêt… less is more. Je me retrouvais à des moments où je voyais des espaces qui étaient super intéressants dans ce que ça pouvait dire comme image. De l’autre côté, un truc qui ne servait à rien. Avoir un diptyque pour aller jusqu’au bout du concept, je ne suis pas sec à ce point-là. Le peu de négatifs que j’avais fait n’ont finalement pas été tous scannés. C’était une résidence avec l’association SMP à l’époque. Sol, Mur, Plafond et L’Âge d’or. C’est une coproduction. La résidence SMP à Berlin, venait juste de démarrer. Leur galerie associative était à Marseille, dans la rue Consolat. Il y avait Stéphane Magat, Denis Prisset, Géraldine Pastor Lloret. C’était un chouette lieu. Une époque où il y avait beaucoup d’expos, beaucoup de lieux associatifs qui marchaient bien. Ça a été un peu bouffé par le système actuel. De 1998 à 2010, globalement. Ce qui a mis un point final à beaucoup d’associations, c’est terrible, c’est 2013. Le système de capitale européenne de la culture qui fait qu’il y a eu beaucoup de budgets, mais centralisé sur des grosses structures. On a même demandé à des associations de faire des choses spéciales pour 2013, mais sans augmenter les budgets. Ça a été un peu la fin de tout ce terreau-là qui était je trouve, très intéressant. C’était une autre époque, il faut évoluer aussi. C’est une autre façon de montrer l’art. Il y avait vraiment une vraie émulation, par contre il n’y avait absolument pas de marché.
Le marché est toujours inexistant !
Oui, c’est clair. Globalement, c’est le problème de Marseille. Même si tu veux acheter quelque chose, tu vas dans une foire à Paris ou ailleurs, mais tu n’achètes pas à Marseille. On n’a pas la culture de l’image en plus. Déjà pour l’art contemporain, c’est compliqué, mais on n’est pas dans un pays d’images. Quand j’étais en Angleterre pendant un an, je trouvais qu’il y avait un rapport à l’image qui était très différent. Pour nous, une image n’est qu’une image. Pour eux, c’est quasiment déjà du patrimoine. En France on est quand même dans une culture de sculpture, de peinture, d’antiquités. En Angleterre tu peux avoir dans des vieux pubs toute une série de tirages vintages, super beaux, super bien encadrés. En France tu n’as jamais eu ça, à part dans deux ou trois pizzerias où tu as Platini en train de manger une pizza. Tu n’as pas ce rapport-là. L’image n’est qu’un souvenir. Ça a changé à une époque avec l’arrivée sur la scène artistique de la photographie allemande. Là, c’est marrant parce qu’on se rend compte que rétrospectivement il y avait une volonté politique du gouvernement allemand d’inonder le marché. Ils ont énormément investi pour faire monter des artistes comme Andreas Gursky, Thomas Ruff ou encore Axel Hütte dont on ne parle pas souvent. Je trouve que c’est le boulot le plus fin du clan. Toutes ces expos-là n’ont pas arrêté de tourner, ça a été vraiment une volonté politique.
Vous vous sentez proche des élèves des Becher ?
Oui et non. C’est un peu compliqué, c’est tout de même très important pour moi. Par contre, là où en est arrivé Gursky sur la fin, je me sens complètement décalé avec ça. Ils sont partis du travail des Becher qui était un pur travail intellectuel de documents et de typologie, qui a été rattrapé par le marché de l’art. Les premiers boulots de Gursky et Ruff je les trouve super intéressants. Après, surtout Gursky, il a voulu en faire toujours plus et c’était un produit qui a perdu complètement son âme. Ce sont de belles pièces pour décorer des gros musées, mais c’est juste de l’image. J’ai beaucoup de mal avec ça. Après le côté un peu trop sériel des Becher, je me suis toujours posé des questions, même quand je faisais des paysages urbains ou bien quand je faisais mes photos d’architectures. Je rigolais toujours là-dessus parce que tu regardes les images des Becher, il faut toujours qu’il fasse gris. Un jour, ils sont allés dans le nord de la France. Ils devaient photographier un dernier terril ou un haut fourneau. Ils avaient prévu de rester deux jours, ils sont restés trois semaines parce qu’ils attendaient le mauvais temps. Un mauvais temps, ça veut dire que tu n’as pas d’ombre forte. Tu englobes complètement l’objet. Ça veut dire quoi ? Que quand il fait beau, ce n’est pas objectif ? Le réel quand il fait beau n’existe pas ? Cette question-là a toujours été compliquée pour moi et en même temps, dans mon travail actuel professionnel, quand je travaille pour les musées par exemple, face à une œuvre, pour une image documentaire, il faut comprendre le travail, comprendre totalement l’œuvre. C’est souvent des images qui englobent, qui sont très douces. On voit tout ou presque, comme un jour de temps couvert.
Pour la photographie d’architecture vous parlez de l’importance de la lumière dans la lecture des bâtiments.
La photographie d’architecture, c’est du temps. C’est paradoxal, pour un sujet statique. Souvent, il y a des mouvements de gens qui passent pour donner la taille, l’échelle, ça peut être vivant, mais ce qu’on photographie, ce sont des choses immobiles. Ce qui fait que d’un coup, l’immeuble va être lisible, c’est le temps de la lumière. C’est ce qui fait que quand un architecte dit : « Moi, j’aurais pu faire les photos. » Tu lui demandes s’il a trois jours pour aller photographier son bâtiment, parce que ce n’est pas qu’une question technique, c’est surtout être là au bon moment et savoir lire la lumière. Il y a certains bâtiments, tu peux y aller à n’importe quelle heure, ça marche. Pour donner trois dimensions en deux dimensions, la lumière est quand même super importante. Si tu veux bien travailler sur un bâtiment, tu arrives le matin au lever du soleil et tu pars quand il fait nuit. Tu peux ne pas avoir besoin des photos extrêmes sur certains bâtiments, mais par contre ton bâtiment il a quatre faces, et il faut globalement éviter les images en contrejour. Dans des cas particuliers, tu peux aussi faire des images en contrejour, mais tu es obligé de suivre quoi qu’il arrive le soleil pour attraper des moments intéressants de tout le bâtiment. Malgré les différentes lumières, il faut faire en sorte que l’on comprenne d’une vue à l’autre, que l’on représente le même bâtiment. Donc en post-traitement, tu as un travail de dingue pour harmoniser la chromie et les rendus des matières et couleurs. En même temps, tu es obligé de travailler avec des lumières différentes parce que la directivité de la lumière est importante et c’est là tout le problème.
Là où mon travail professionnel m’a nourri pour mes recherches personnelles, c’est que j’ai travaillé essentiellement sur de l’architecture et des œuvres d’art et dans les deux cas, c’est un peu la même problématique ; tu as quelque chose qui existe et il faut le documenter, faire en sorte que la personne le comprenne le plus facilement possible. J’ai photographié plus de 9 000 œuvres d’art pour des éditions. Plus j’avançais et plus je m’améliorais, il faut dire que techniquement je suis parti de rien. J’ai un peu fait du bluff au départ pour avoir les premiers boulots mais après j’ai vraiment appris la lumière en travaillant. Plus j’avançais, plus je me rendais compte que pour donner l’impression de comprendre une œuvre, il faut énormément tricher en éclairage et en post prod. Le cas d’école que j’ai eu, c’était une œuvre pour le Cirva. J’ai photographié toute la collection du Cirva. Le verre, c’est un peu difficile. Moi personnellement, j’adore mais il y a des photographes qui détestent en disant que c’est trop dur. Je trouve la céramique beaucoup plus compliquée dans le genre. C’était un verre violet, très dense, assez haut, tubulaire et en même temps, il y avait des inclusions de métal, un métal légèrement poli, un peu argenté et rouillé à certains endroits. Dans ce genre d’images, à la fin, tu montres une image d’un vase, simplement un vase, et tu comprends le vase et tu comprends sa matière, sa transparence, sa densité et tu vois le métal. Tu vois la brillance du métal un peu piqué ça et là. En réalité, le métal est rouillé, le métal est brillant, la forme du vase elle-même était ronde, et renvoyait tout ce qu’il y avait autour et montrait à la fois la densité et la transparence, en fait c’est cinq images différentes que tu assembles.
Pour arriver à une image qui parait objective et qui soit complément documentaire, c’est une image qui est complètement travaillée. Ce n’est plus une photographie, mais un assemblage savant. Aujourd’hui je m’en sers dans mes travaux perso. Ce rapport entre le faux et le vrai qui est la description d’une chose. Pour être objectif, il faut énormément travailler le rendu. C’est aussi tout le problème que se posent aujourd’hui aux cinéastes, entre faire un documentaire et faire une fiction. On a de plus en plus de documentaires qui sont probablement écrits, qui sont quasiment rejoués. Ça me pose beaucoup de problèmes, il me semble que quand tu fais un documentaire, tu n’écris pas, tu vas à la rencontre du réel. Tu prends ta caméra, tu y vas, tu regardes des rushs, tu essayes de broder le truc, tu essayes de comprendre ce que tu as dedans, de donner du sens. Là, tu es allé chercher quelque chose. Tu as une intuition, mais tu vas à la rencontre du réel. Aujourd’hui, pour beaucoup de producteurs et de canaux de diffusions, le documentaire est à l’opposé de ça. Tout est écrit et tu vas illustrer le réel. On va te dire que c’est plus efficace. Sur certains sujets, c’est même plus réel. Parce que quand tu vas à la rencontre du réel, tu peux te faire avoir par le réel. Tu peux être happé par quelque chose qui n’est pas l’essentiel du truc. Ce rapport-là, en cinéma comme en photo, c’est ce qui me titille beaucoup aujourd’hui. L’objectivité, je n’y ai jamais cru quoi qu’il arrive, quoi qu’il arrive, c’est une image et il faut arrêter de déconner. On parle beaucoup du numérique et de la retouche, mais en même temps quand tu prends un appareil argentique et tu choisis une optique, déjà c’est un choix, un choix d’angle. Tu choisis un film, c’est un autre choix. Tu choisis une vitesse, c’est un autre choix et à la fin, c’est deux dimensions qui donnent trois dimensions. L’objectivité, elle n’est nulle part quoi qu’il arrive. Aujourd’hui, tu peux retoucher, tu peux enlever le poteau qui te gêne. Il n’y a jamais eu d’objectivité.
Parlons de votre travail Manière noire. Quelle était votre intention ?
L’intention, c’était RIP l’argentique. Je fais vraiment partie de cette génération qui a un peu tout connu. Ça fait un peu vieux loup de mer, mais comme je te le disais, j’ai démarré en donnant des cours en reportage et en labo noir et blanc. Quand j’étais aux Beaux-Arts, je tirais des expos pour des gens. Le labo, j’aimais bien ça. J’étais aussi un des premiers à passer au numérique. À une époque, je faisais de la photo d’architecture. J’avais une chambre 4×5 d’un côté et un boitier numérique, je devais tout doubler. C’était juste l’enfer. Dès que j’ai connu l’argentique, j’ai trouvé ça absolument génial. Il n’y a rien de plus magique qu’une image qui apparait dans le bain de révélateur. Ça reste quand même le truc absolument génial. En même temps, à 12 ans j’avais un ordinateur, un des premiers ordinateurs familiaux et je l’ai fait fondre en le programmant. J’ai toujours été un peu geek d’une part et très attaché aux appareils mécaniques et à l’argentique. Aujourd’hui, je ne fais plus du tout d’argentique, mais j’ai cette double culture. Même s’il y a des gens qui s’y remettent aujourd’hui, ce qui selon moi est un peu du fétichisme et du masochisme, ça reste un épiphénomène. En même temps, j’ai un petit pincement au cœur en le voyant disparaitre. Je voulais faire un travail autour de ça. Comment parler du passage du support physique au flux ? C’était un peu montrer la disparition. Je suis parti sur ce scotch de masquage qui servait en sérigraphie et en composition pour les magazines. C’est un scotch occultant, caoutchouté. C’était vraiment l’anti-support photographique. Je me suis dit que pour parler de la disparition, j’allais partir sur une nature morte et pour montrer la fin du support, j’allais créer des images où le réel serait recouvert de ce scotch de masquage. J’ai utilisé le procédé de « focus stacking » avec lequel chaque image est composée de 12 ou 15 prises de vue avec des mises au point différentes pour avoir une profondeur de champ totale. Je voulais que le scotch soit absolument net partout et qu’on ait l’impression que c’est quasiment du scotch collé sur une feuille. J’ai un peu poussé le bouchon avec ce truc parce qu’après, je me suis dit mais la photographie aussi, c’est une série. Comment amener une série là-dedans ? Je suis parti sur un cadavre exquis de 12 images. J’avais en tête l’image de départ possible. Je connaissais l’image de fin également et j’ai fait un cadavre exquis. Chaque fois, un objet saute dans l’image suivante. C’est le déroulé d’une petite histoire, ce cadavre exquis fait que c’est une série. Pour la première image, j’ai étudié des tonnes de peintures classiques de natures mortes et j’ai essayé d’en faire une synthèse, une image un peu iconique de la nature morte. La dernière image, je voulais faire quelque chose par rapport au champignon atomique. Finir la fin du support photographique par un champignon atomique, ça m’intéressait, mais j’ai un peu perverti le truc, c’est-à-dire qu’en fait j’ai utilisé, en référence à ma double culture photographie et arts plastiques, j’ai utilisé un porte bouteille à la Marcel Duchamp, que j’ai renversé. Ça prend une forme de champignon, il est complètement scotché, donc il disparait en même temps dans le tout. L’objet qui était dans l’image d’avant qui a glissé dans cette image-là, est en fait une citrouille, c’est la citrouille de la transformation du carrosse. J’avais vraiment ces deux images en tête et après j’ai tricoté ce qui va au milieu. Dans ces images, il y a beaucoup de choses personnelles que je ne divulgue pas forcément. Ces natures mortes, ce sont des vanités que chacun réinvente à sa guise.
Ce fut très complexe à photographier. Je voulais vraiment que l’on ait l’impression que ce soit éclairé par du noir. Une image qui baigne dans le noir. Ce scotch avait pour particularité d’être légèrement brillant. La brillance, je voulais vraiment arriver à atténuer tout ça. Le paradoxe, c’est que c’est énormément éclairé pour arriver à ce rendu-là. Le particularité de ce travail qui pour moi était une qualité, c’est que c’est un travail qui ne marche pas du tout sur écran. Sur un écran, l’image est dégueulasse, ça ne va pas du tout. C’est vraiment la matité du papier qui est importante. J’ai moi-même réalisé les tirages jet d’encre. Le titre Manière noire vient du premier procédé de gravure qui permettait d’obtenir des dégradés. Comme aujourd’hui, ces tirages jet d’encre, c’est purement de l’encre sur un papier d’art, je voulais faire une petite allusion à ça. C’est toujours les procédés d’impression et de reproductions qui se suivent et qui s’entassent l’un au-dessus de l’autre. Aujourd’hui, le procédé final en tant que photographie et imprimé comme ça, et une gravure sont quasiment les mêmes. On perd la notion de l’argentique. C’est quelque chose qui me gêne d’ailleurs, mais du coup j’en joue. C’est complexe. Moi j’aimais bien ce corps. Tu faisais un inter-négatif, tu avais l’impression de toujours jouer avec l’ombre de la chose, avec le réel. Alors qu’aujourd’hui c’est du flux que tu captes et que tu traduis. On a perdu une certaine filiation entre l’image et le support. En même temps, sans support, on n’a pas d’image.
Réalisez-vous vous-mêmes vos tirages ?
Oui. J’ai eu une aide à l’équipement de la Drac pour l’atelier qui m’a payé la moitié de l’imprimante. Le calcul était simple : j’avais deux grosses expos à monter et ça faisait quasiment le prix de faire faire les tirages. Dans mon boulot professionnel, je suis toujours en train de travailler des images pour l’impression. Tout ce qui est chromie, calage, tout ça je sais faire, ce n’est pas trop un problème. J’avais juste besoin d’une imprimante. Aujourd’hui, je ne suis pas certain que je choisirais cette option. Je trouve intéressant d’avoir affaire à un tireur. Honnêtement, je n’en ai vraiment pas besoin, mais je trouve que c’est une relation sympa.
Il y a un de vos travaux documentaires qui fait la synthèse entre votre travail de photographe d’œuvres d’art et votre travail de photographe d’architecture, c’est le travail sur les monuments historiques classés.
C’est un peu le premier d’une longue série. C‘était une commande du patrimoine, du Conseil général de la Drôme. Ça part simplement d’un truc assez beau. Le concept même de monuments classés a été inventé par Prosper Mérimée. Il était au gouvernement et il se baladait en Drôme. Il a croisé des chapelles et des églises en super mauvais état. Il s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. J’ai photographié les 17 premiers monuments classés. J’avais carte blanche totale. C’était suite à une expo sur le paysage urbain que j’avais fait à Fos-sur-Mer. Il y avait eu un article dans Le Monde 2 et c’est comme ça qu’ils m’avaient trouvé. C’était assez drôle parce qu’on vient te chercher par rapport à un type d’image et un truc qui te plait, que tu fais pour des raisons X. On essaye de le transposer sur un autre projet et tu te rends compte que ce qu’ils attendent de toi, c’est quasiment de faire des cartes postales des lieux, ce qui ne m’intéressait absolument pas. Ça a été un petit bras de fer, mais gentil. On a trouvé un terrain d’entente. Ce qui m’a intéressé, c’est de me dire que quelque part classer un monument historique, c’est se dire qu’on va l’entretenir et faire en sorte qu’il ne bouge pas. On ne va pas mettre une télé 4K sur l’autel de l’église. On va essayer de la maintenir telle quelle. Ce qui m’intéressait, c’était d’essayer de capter la friction entre l’usage, le réel, le présent et ce lieu qui était intemporel. J’ai passé un temps fou, j’ai passé deux mois là-bas, à dormir un jour sur deux dans la voiture pour être juste à côté le matin, à essayer de capter des choses comme ça qui étaient vraiment assez fragiles sur des instants d’usages du lieu. L’expo a eu lieu dans le château de Suze-la-Rousse et pour que ça passe politiquement et que le public puisse mieux comprendre le lieu, j’ai quand même travaillé sur les façades extérieures. C’était aussi une manière de montrer au public qu’il y avait ces lieux qui existaient et qui avaient été importants. C’était une mission de partage du patrimoine. La parade que j’ai trouvée consistait à présenter deux images : une image intérieure de ces petits moments de vie, d’usage. La seconde image, c’était l’extérieur, mais de nuit avec l’éclairage urbain. Ce lieu immuable change complètement d’aspect la nuit parce qu’il est empreint de la lumière de la ville. Je crois que j’ai carrément détruit les images en question. Il ne me reste plus que les intérieurs. Oui, ça m’est arrivé de faire des purges comme ça dans mes archives.
Vous vous identifiez à tous les travaux présents sur votre site ?
Oui, mais sur mon site j’ai volontairement laissé des ratés. Il y a même un gros raté qui a été fait avec De Visu et Soraya doit sûrement encore m’en vouloir. Je parle de la résidence à Prora. Ça a été le dernier travail où j’ai tout pensé avant de partir. J’ai tellement écrit. Prora, c’est le bâtiment le plus grand du monde. Alors c’est un peu tricher de dire ça, mais pourtant on le présente comme ça. C’est un bâtiment de 4,5 kilomètres de long avec des traverses. Ce sont plusieurs bâtiments en ligne, mais tout a été construit d’un seul bloc. Ce devait être une station balnéaire pour les ouvriers nazis. Moi, ce qui m’intéressait dans ce sujet, c’est à la fois l’histoire des lieux et l’usage que tu fais d’un bloc comme ça aujourd’hui. Sachant qu’à 15 kilomètres de là, tu as la ville de Binz qui est super touristique. En gros, c’est un Aix-en-Provence pas très loin. Juste à côté tu as un camping. C’est là où je logeais. Ce qui m’intéressait, c’était de travailler sur ce site complètement sériel qui n’a jamais été complètement fini. Toute cette masse dont on ne sait pas quoi faire. Encore une histoire de doute. Il y a ça et on en fait quoi ? Ça existe, ça n’existe pas. Quand je suis arrivé déjà, j’avais ma petite tente pour entrer dans le camping à côté. À l’époque, il n’y avait que des retraités de l’armée de l’ex Allemagne de l’Est avec des gros campings-cars. Personne ne parlait anglais et j’étais mal venu. J’étais 15 jours sur place et il a plu pendant 15 jours. Je travaillais à la chambre en argentique. Sous la pluie, c’était super compliqué. Photographiquement parlant, je ne m’y suis pas retrouvé. Le réel a résisté. I y avait un petit musée qui venait d’être fait. Je suis allé le visiter. Une petite expo sur ce lieu pour expliquer le projet. Là, je me rends compte au moment de ma visite, que les visiteurs du musée, étaient pour la plupart des gens qui regrettaient que ça ne soit pas des ouvriers nazis qui soient en villégiature là… Drôle d’ambiance ! Je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais ici ? Je viens documenter ce qu’aurait pu être la beauté du troisième Reich ? » Je me suis retrouvé complètement en défaut. J’ai vécu 15 jours dans la bagnole, la tente était pleine d’eau, j’écoutais les émissions Signé Furax, je bouquinais. Je tournais en rond, c’était juste l’enfer humide. D’un coup, il a fait beau et là je sors. Je commence à faire les images qui sont sur le site, je les ai mises parce que ça fait partie de mon histoire aussi. Je n’ai pas envie de cacher ça, mais je ne les trouve pas très intéressantes au final. Au bout de trois heures, il se remet à pleuvoir. Je mets tout dans la bagnole et je rentre d’une traite à Marseille, ça a été la fin de la résidence.
Quelques mots sur la série Borely in progress ?
Ça c’est une drôle d’histoire, mais je m’y suis vraiment retrouvé dans ce boulot, comme si c’était un boulot perso, alors que c’était une sorte de commande. Pour moi, c’était le chantier d’un château qui changeait de peau, qui devenait un musée. C’était vraiment une mue. Il y a quelque chose de vivant dans ce type de lieu.
Quels sont vos projets ?
Je travaille sur un film que j’ai commencé à tourner en septembre. Un film où je prouve que je délègue toujours aussi peu les choses, vu que je m’occupe du son, du tournage et du montage ! Je me suis formé pour aller jusqu’au bout du truc. C’est une mise en abîme de mon regard sur la ville. C’est une mise en abîme du fait qu’on se balade avec sa culture. Quand je me balade dans une ville italienne ou une ville américaine, j’ai toujours des images de films, de photographies, de peintures qui remontent. Comme pendant Paysages Urbains, je disais que j’étais toujours accompagné de fantômes autour de moi, j’ai voulu travailler là-dessus. Ce ne sont que des plans fixes sur des lieux bien particuliers, qui résonnent en moi. Là, je suis en montage et c’est une horreur. J’ai huit heures de plans fixes qui durent entre 20 secondes et une minute 30. Je ne veux pas que ce soit linéaire. Après il faudra écrire le texte pour une voix off. Ça peut prendre un an ou deux. J’irai jusqu’au bout quoi qu’il arrive, mais contrairement à Prora, je n’ai rien écrit avant de partir. Je suis parti avec la caméra en me disant : « Je filme quand ça m’intéresse, quand je trouve du sens. Si je reviens sans rien, tant pis. » J’ai tout financé. Je me suis pris un appartement à Catane pendant quinze jours, je me suis acheté du matos vidéo et j’y suis allé. Honnêtement, jusqu’ici tout va bien. Les rushes dépassent mes espérances. Par contre, le montage et donner du sens à tout ça, c’est énormément de boulot mais c’est passionnant.
« Plan fixe sur la ville. » Pour l’instant, ça s’appelle comme ça. Le nom est un peu connoté années 50. C’est en référence à plusieurs films et tout est hyper référencé dedans. Avoir un titre qui était d’une autre époque quelque part, ça m’allait bien. Un titre qui correspond surtout vraiment à ce qui est dedans. Ce sont des plans fixes sur la ville, avec un travail du son important je voulais vraiment une spatialisation importante du son. J’ai fait une prise de son assez fine en stéréo sur le lieu. C’est un boulot que je fais avant tout pour moi et ça me nourrit énormément. Ça fait très longtemps que passer au cinéma me travaille. Je faisais pas mal de vidéos quand j’étais aux Beaux-Arts. Quand je suis sorti des Beaux-Arts, j’ai enchainé plein de choses qui ont fait que je me suis un peu éloigné de ça. Le matériel était beaucoup plus complexe à trouver et je suis très titilleux au niveau du montage. D’un point de vue technique, je ne pouvais pas m’équiper. Du coup, je m’en suis éloigné. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus simple de filmer. J’ai un super matériel qui ne m’a pas coûté grand-chose au final. Le montage, je le fais sur mon ordi que j’utilise pour mes photos, c’est absolument génial. Je pense toujours à Orson Welles qui est allé dans une école de cinéma à Paris et il a commencé par dire : « Qui a une carte d’électeur ici ? » Certains lèvent le doigt et il dit : « Tout ceux qui ne votent pas, vous pouvez sortir, vous ne ferez jamais du cinéma. » Je trouvais ça quand même assez beau, se dire que faire un film, c’est avant tout se positionner par rapport au réel et par rapport à la société. Puis, quand un jeune lui a dit : « Oui, mais vous êtes plein de théories et tout. Mais c’est super dur de faire du cinéma, d’y avoir accès. » Il regarde le jeune et il dit : « Tu as vraiment envie de faire du cinéma ? » C’était en 68 je crois, il lui répond : « Tu vas dehors, j’ai vu qu’il y avait des travaux. Il y a des pavés. Tu prends un pavé, tu vas casser une vitrine, tu vas piquer une caméra super 8 et tu vas commencer à faire du cinéma. » Aujourd’hui, avec le téléphone on peut faire un film. On ne voit pas beaucoup plus d’Orson Welles pour autant. C’est assez étonnant. Ça n’a pas explosé comme ça pourrait exploser. Moi, de voir cette facilité de travail, j’ai vraiment envie de m’y mettre. De faire ce film me donne envie de faire d’autres films et des documentaires très personnels. Je voudrais que ça reste mon jardin secret. Être indépendant, là où en photographie je suis un peu un mercenaire. On m’appelle pour photographier des choses et j’y vais. Je fais mon boulot perso, mais je pense que j’aurais du mal à devenir professionnel en vidéo, trop envie de le garder « pur ».