Fannie Escoulen Aux côtés des photographes
Cheffe du Département de la Photographie au Ministère de la Culture, Fannie Escoulen œuvre intensément pour et avec les photographes depuis 25 ans. Entretien avec une femme passionnée par ce qui est donné à voir.
Propos recueillis par Christophe Asso
Pouvez-vous m’expliquer votre parcours ? Comment votre intérêt pour la photographie est devenu une part essentielle de votre vie ?
Oui, c’est essentiel. Ça commence adolescente. Je me dis toujours que les destins sont souvent tracés dès le plus jeune âge. C’est vers quinze ans que je commence à m’intéresser à la photographie. J’ai un père journaliste et écrivain, et une mère qui est vraiment passionnée de culture, de littérature et par les musées. Je pense que tous les deux m’ont nourrie de leur passion et d’art. Mon père a eu envie, je pense, d’avoir une de ses filles qui aille dans une direction conjointe à la sienne. À un moment donné, il m’a mis un appareil photo dans les mains dont je ne me servais pas beaucoup. Mais il y avait cet objet avec moi. Et il y avait surtout l’art qui était présent. J’aimais énormément aller voir des expositions. C’est quelque chose que j’ai fait depuis toute petite. L’exposition est vraiment pour moi un vecteur puissant de connaissance de l’art. Il y avait les expositions et la photographie. Je me suis dit qu’il faudrait arriver à faire quelque chose avec ça. Donc je passe mon bac et j’hésite entre des études d’histoire de l’art et à la fois, j’ai en ligne de mire de faire une école de photographie. Je fais des recherches et je tombe sur l’école d’Arles. Je me dis « Tiens, ça m’a l’air tout indiqué » parce qu’à la fois on nous forme à la pratique, mais c’est aussi une école de culture de l’image. On nous ouvre à différentes disciplines. Donc je me renseigne et je prépare le concours. À l’époque, le concours était accessible après le bac. Je prépare le concours pendant un an. Et j’ai le concours. J’avais dix-neuf ans, j’étais jeune et je suis rentrée à l’école en n’ayant finalement pas envie de devenir photographe, mais en voulant travailler avec des photographes. Je me disais que je pourrais sans doute les accompagner dans des projets d’exposition.
Aviez-vous une pratique de la photographie ?
Pas tellement. Je l’ai développée de fait en préparant le concours, puisqu’on devait présenter un portfolio. Je l’ai fait un peu contrainte et forcée. Mais ce qui m’intéressait surtout, c’était d’acquérir une culture visuelle et une culture de l’image. Je propose en arrivant à l’école de passer mon diplôme comme commissaire d’exposition mais pas comme photographe, pas comme artiste. On est en 1997 et l’école venait de devenir une école d’art, aux côtés des sept ou huit autres écoles d’art en France. Je fais cette proposition aux profs mais elle m’est refusée sous prétexte que « je suis dans une école d’art, et que je dois avoir une pratique artistique ». Donc je passe trois ans à tenter d’avoir une pratique artistique, ce qui a été assez douloureux pour moi. Mais j’ai la chance de rencontrer des intervenants assez géniaux à Arles qui m’aident à avoir ce diplôme. François Bazzoli, mon prof d’histoire de l’art, a beaucoup compté pour moi. Finalement, j’ai eu mon diplôme. J’avais fait un accrochage de mon travail original, qui avait interpellé. Au moment du diplôme, l’école me propose de faire un post-diplôme dans une école d’art ! Là, je leur dis non, que j’ai envie de travailler… Je suis sortie d’Arles, j’avais vingt-et-un ans et demi. Et à l’époque – c’était encore comme ça que ça se passait – j’ai envoyé assez naïvement des CV par courrier à cinq endroits qui m’intéressaient dans le sud puisque je vivais à Marseille. Je jetais des bouteilles à la mer. Et j’ai jeté une bouteille à la mer au Centre Méditerranéen de la Photographie à Bastia. Marcel Fortini, le directeur, m’a appelée en me disant « Je cherche quelqu’un pour travailler avec moi. » C’était l’été, je n’étais jamais allée en Corse, j’avais envoyé ce CV en ne sachant pas trop ce qu’ils faisaient. Je suis allée passer quelques jours en Corse. On a eu un entretien et je suis rentrée en me disant « Non, je ne vais pas y aller. Je ne pourrais jamais vivre en Corse. C’est trop isolé. Je ne suis pas corse, ça va être compliqué ! ». J’ai réfléchis, et je me suis dit que je ne pouvais pas refuser un poste comme ça. Je suis partie vivre en Corse pendant deux ans, et ça a été le début de tout. J’y ai appris mon métier. Cette mission m’a donnée tous les fondamentaux de ma culture photographique également. J’avais Arles derrière moi. Mais en réalité, on se rend compte que les écoles ne forment pas tellement à des métiers. On nous demande de jouer aux artistes, mais on n’est rien quand on sort de là. Il y a tout à faire, on est très naïfs. Vraiment, j’ai tout appris à Bastia pendant deux ans. C’était une période faste de l’histoire du Centre qui passait beaucoup de commandes publiques à des artistes. Il est plus modeste aujourd’hui. Il n’a toujours pas de lieu permanent, à l’époque non plus. Mais il y avait, et il y a toujours, une politique de diffusion des expositions sur la Corse et le territoire très dynamique. Je passais ma vie à faire circuler des expositions dans des centres culturels, des musées, des théâtres. C’était assez génial. Il y a eu de grands artistes qui sont venus faire des commandes, comme Massimo Vitali, Alain Fleischer, Dolorès Marat. Il y avait une belle dynamique de création. Je m’occupais de toute la partie exposition, médiation, commande publique, édition. C’est là que j’ai réellement appris mon métier. Ça a été la base, le socle dur de mon parcours.
Quelles ont été les expositions qui ont déclenchées votre envie d’en faire votre métier ?
Je n’allais pas voir d’expos de photographie quand j’étais adolescente, c’était plutôt des expos de peinture… J’ai davantage de souvenirs de musées que d’expositions qui m’aient vraiment marquée. Ma première fois aux Rencontres d’Arles a été importante aussi, c’était en 1995, je venais d’avoir mon bac. Je crois qu’après, ma culture photographique s’est construite par le livre, avant l’exposition. J’ai compris que l’exposition et le livre pouvaient être vraiment des moyens d’expression privilégiés pour les artistes, et de transmission auprès du public. Ce qui m’a toujours vraiment beaucoup intéressé dans ce métier, c’est ce qu’on donne à voir au public. Quand on fait une exposition, on ne la fait pas pour soi, on la fait pour les gens. Mais le livre reste. C’est l’objet avec lequel on vit finalement. L’exposition passe, elle est éphémère. Et pourtant, c’est ce que j’ai préféré faire dans ma vie, des expositions. L’exposition est une expérience plus vivante. Plus que le livre.
Faisiez-vous déjà de l’édition à Bastia ?
Ce n’était pas l’activité principale. On faisait surtout beaucoup d’expositions, de commandes. Il y a eu un vrai beau moment avant que je parte, avec tous les artistes qui avaient été invités en commande en Corse. Thibaut Cuisset, Dolorès Marat, Paolo Nozolino, Alain Fleischer, Massimo Vitali et j’en passe, tous étaient là. On a fait une grande exposition de toutes ces commandes à Saint-Florent, dans la citadelle. Et j’ai fini sur cette note. J’ai choisi de démissionner. Je suis partie en me disant que j’avais fait le tour et qu’il était temps pour moi de grandir, d’aller travailler sur le continent. J’étais très jeune, il manquait quelque chose dans ma vie. C’était de l’ordre de la vie culturelle, la vie sociale. J’avais très peu d’amis en Corse. C’était compliqué.
Vous aviez déjà beaucoup de contacts ?
Oui quelques-uns. C’est la rencontre avec Thibaut Cuisset en Corse qui m’a permis d’aller vers la seconde étape de mon parcours à l’agence Métis, en 2002. Il était représenté par l’agence et me dit à ce moment-là : « Il y a une personne de l’agence qui va partir en congé maternité. Elle s’occupe des expositions et des éditions. Si ça t’intéresse, je te mets en contact ». J’ai eu le poste pour la remplacer et elle n’est pas revenue. Je suis restée pendant deux ans jusqu’à la fermeture de l’agence. Elle était basée dans les anciens locaux de Magnum, dans le 10ᵉ arrondissement. Là aussi, ça a été vraiment une belle expérience de rencontres. C’était un collectif, avec cette particularité que l’agence était dirigée par des photographes et leur appartenait. C’était vraiment très fort. Mais l’agence commençait à aller mal et on était malheureusement sur la fin. Mais j’ai quand même fait de beaux projets avec eux.
C’était du photojournalisme ?
Non. C’était une agence de photographes auteurs. Il y avait Jérôme Brézillon, Patrick Messina, Grégoire Korganow, Luc Choquer, Marie-Paule Nègre, Martine Voyeux, Xavier Lambours… C’était une génération importante de photographes français. J’étais absolument ravie de travailler avec eux. Je suis devenue amie avec certains. Avec Xavier Lambours, on a fait des projets incroyables. Avec tous, j’ai quand même fait pas mal de choses en deux ans.
C’était aussi l’opportunité de travailler à Paris, j’imagine ?
Oui, c’était l’opportunité d’être à Paris. Je n’y avais jamais vécu, donc c’était aussi très déconcertant. Je me suis sentie perdue. Il y a eu un mois d’adaptation vraiment difficile. Je suis passée de la presque campagne à la grosse mégalopole. C’était vertigineux. J’étais quand même jeune, j’avais vingt-quatre ans. Je travaillais avec des grands photographes, ça a été aussi une expérience très enrichissante. L’agence a fermé en 2004, elle a fait faillite. Et à ce moment-là, j’ai rencontré une autre personne. Mon parcours a été jalonné comme ça de rencontres, qui m’ont emmenée d’un point à un autre. Et c’était beau parce que finalement, il n’y a jamais vraiment eu de temps mort. Là, j’ai rencontré la directrice du département culturel de l’agence Magnum, Andrea Holzherr, qui m’a dit : « Il y a quelqu’un qui part dans mon équipe ». Je suis rentrée chez Magnum en 2004. Je m’occupais de la tournée des expositions des photographes en Europe. C’était une mission assez lourde parce qu’il y avait beaucoup d’expos qui circulaient. C’était une grosse responsabilité en terme de régie, de logistique, d’assurance et de transport. Je me suis beaucoup déplacée aussi. Ce qui était assez génial, c’est que finalement, je me suis retrouvée à aller faire des accrochages de rétrospectives de Cartier-Bresson à Édimbourg, de René Burri à Milan, de Elliott Erwitt à Düsseldorf.
Tout d’un coup, j’ai côtoyé les plus grands. J’étais une petite régisseuse et on me mettait entre les mains les grosses rétrospectives. J’ai quand même des souvenirs incroyables. J’ai accroché la rétrospective de Cartier-Bresson avec Robert Delpire à Edimbourg. J’étais partie pour faire les constats des œuvres et je me suis retrouvée à faire l’accrochage avec lui. C’était vraiment très beau. J’ai été assez proche de certains photographes, parce que finalement je travaillais avec eux sur leurs archives pour faire les expos. Avec Burri, on s’est très bien entendus, on a pas mal fait de choses ensemble. Cette période a été aussi la grande rencontre avec Antoine d’Agata. On est rentrés au même moment chez Magnum, en 2004, lui comme photographe et moi comme salariée. Antoine, j’avais connu son travail des années avant, notamment à Bastia. Un des premiers livres que j’ai achetés, c’est Mala Noche. Il a vraiment contribué à façonner mon parcours. On n’a pas travaillé ensemble tout de suite. Au bout d’un an chez Magnum, cela ne m’intéressait plus de m’occuper de la tournée des expos. J’ai monté une collection pour la Cité de l’Immigration par exemple. J’ai travaillé sur une exposition avec la Cinémathèque française, sur la photographie et le cinéma. Puis, assez rapidement, est arrivé le projet du BAL. Diane Dufour dirigeait l’agence à l’époque et avait ce projet en tête. On a créé une association pour porter LE BAL, l’Association des Amis de Magnum, car le projet naissait de l’agence. L’esprit du BAL, c’était quand même un lieu dédié à la photographie documentaire. Il prenait sa source dans l’histoire de Magnum, qui est une agence de photojournalistes et aussi d’auteurs. Les deux grandes figures de Magnum, c’est Capa et Cartier-Bresson. C’est la rencontre d’un photojournaliste et d’un photographe auteur, un artiste. Et c’est ça qui nous intéressait aussi dans la création du BAL, cette coexistence des différents registres d’images.
L’idée première, c’était d’avoir un lieu ?
Oui. Diane avait repéré un lieu dans le quartier, juste à côté de Magnum, qui était une ancienne salle de bal et qui était devenue le plus grand PMU de France. Elle a créé l’association pour porter le projet et je suis arrivée assez rapidement sur le projet. On a vraiment monté le projet ensemble de A à Z. Ça a été une grande aventure. On a démissionné de Magnum toutes les deux, en 2006. On a pu se salarier de l’association grâce à un premier partenaire et puis avec d’autres, on a pu construire le projet et trouver de l’argent pour financer les travaux. Raymond Depardon, qui était Président de l’association à l’époque, nous a beaucoup aidé. On l’a sollicité pour incarner le projet. Il se trouve que Bertrand Delanoë, qui à l’époque était Maire de Paris, avait envie de doter le 18ème arrondissement d’un lieu d’exposition, d’un lieu de vie. Il a tout de suite soutenu le projet et ensuite, s’est greffée la Région Ile-De-France. On a eu pas mal de partenaires assez forts qui se sont engagés rapidement. Mais ça a quand même pris cinq ans, dont deux ans et demi de travaux, pour trouver les financements et rénover le lieu. Je me suis transformée en chef de chantier et en chercheuse de fonds. On a un peu quitté notre métier pendant quelques années. On avait deux millions et demi d’euros de travaux. La Ville en finançait la moitié mais il restait l’autre à trouver ! C’était beaucoup. Et il fallait aussi trouver des financements pour le fonctionnement du BAL, recruter une équipe, faire une programmation, un lieu, un café, une librairie. J’avoue, on a cherché de l’argent dans tous les sens.
On a inventé une plateforme pédagogique, La Fabrique du regard que l’on a activée avant l’ouverture du BAL, hors les murs, et qui nous a permis aussi de trouver des financements pour monter des projets et participer au fonctionnement. Ça a été important de pouvoir développer, en amont de l’ouverture, des actions sur le territoire dans le périmètre du BAL, avec des jeunes publics, des publics scolaires. On a recruté Christine Vidal pour s’en occuper et elle a pris les rênes de cette plateforme. Ce qui nous permettait quand même de commencer à faire venir un certain nombre de partenaires autour d’un projet qui n’était pas qu’un projet de lieu d’exposition mais un projet social, sociétal je dirai.
Y avait-il une direction artistique, une volonté de montrer un certain type de photographie ?
On était sur ce projet de l’image-document, une image qui témoigne du monde, dans toute sa diversité et la complexité des écritures. Avec plutôt des photographes auteurs que des photojournalistes, qui interrogent justement ce statut de l’image-document. J’ai été commissaire de cette grande exposition d’Antoine d’Agata en 2013, un projet sur lequel on travaillait avec lui depuis longtemps. Bien avant l’ouverture du BAL, quand on était à Magnum, on parlait déjà avec Antoine de faire une grande exposition de son travail. À ce moment-là, j’ai proposé d’inviter un commissaire extérieur qui était Bernard Marcadé, qui venait plus du champ de l’art contemporain. C’était important pour moi de faire venir quelqu’un qui aurait d’autres références et d’autres codes. Ça a été vraiment une belle aventure puisque l’exposition d’Antoine a circulé dans de nombreux lieux en Europe. Après 2014, j’ai décidé de partir du BAL, quatre ans après l’ouverture. Je voulais avoir plus de libertés dans mes choix. Ça a été une période très riche, et à la fois très dure. Beaucoup de projets sont arrivés assez rapidement. J’ai dirigé des prix comme le Prix Levallois, le Prix HSBC. On m’a sollicité aussi pour en créer. Je faisais pas mal de conseil car au BAL, finalement, on faisait de l’ingénierie sur la création de prix, des bourses. On avait créé la carte blanche PMU et le Prix SFR Jeunes Talents. J’ai fait aussi beaucoup d’expositions en tant que commissaire, des livres avec des éditeurs. J’avais toujours un projet sur le feu ! Mais c’était dur d’en vivre. Je démarchais beaucoup pour trouver tout ça. Après, on venait quand même à moi aussi au bout d’un moment. Je me suis occupée du parcours Elles X Paris Photo en 2018, qui était pour moi une vraie question, mais très nouvelle.
La question de la visibilité des femmes photographes ?
C’était un nouveau sujet pour tout le monde en 2018. Un pavé dans la mare ! Marie Docher avait envoyé une lettre ouverte dans Libération à Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles à l’époque, en lui demandant pourquoi il y avait aussi peu de femmes photographes présentes dans sa programmation. Et ça, depuis des années. Elle a fait signer cette lettre à 500 personnes. Tout d’un coup, il y a eu un réveil vraiment fort de toute la communauté photographique en se disant « Mais c’est vrai que là, si on se met à compter, c’est désastreux ». Et au niveau des expositions, en effet, ce n’était pas flamboyant. Marie Docher a été vraiment une pierre cruciale dans cet édifice.
C’est quelque chose qu’on pouvait sentir venir ?
Ça a été un séisme pour le milieu de la photographie. Je pense que personne n’avait jamais vraiment mesuré à quel point on passait à côté de la moitié du monde, bien que le problème se pose également ailleurs. C’est venu du cinéma de toute façon, tout ça, on le sait. Le mouvement MeToo a été quand même une déflagration. Pas exactement pour les mêmes raisons, mais je pense qu’à un moment donné, on a commencé à questionner la place des femmes dans l’art en général. Il y a eu aussi l’exposition de Camille Morineau, Elles@centrepompidou. C’était presque 10 ans avant, entre 2009 et 2011. On offrait les espaces du Centre Pompidou aux artistes femmes et on allait chercher dans les collections seulement les artistes femmes. Ça a été un moment important de l’histoire de l’art contemporain. Mais dans la photographie, je crois qu’on était tous un peu passés à côté du sujet. Donc aujourd’hui, évidemment, c’est bien plus simple. Enfin, c’est en train de le devenir, même si les choses ne sont pas du tout réglées. Mais le sujet est quand même dans les consciences. Dans les programmations, ce n’est plus un sujet. Ça ne doit plus l’être en tout cas. Mais c’est vrai qu’en 2018, quand j’ai été invitée sur le projet, je ne m’étais pas tellement posée la question.
C’était une initiative du ministère de la Culture et de Paris Photo ?
Oui, ils m’ont proposé de prendre la direction artistique de cette programmation et de choisir dans les contenus des galeries, des images d’artistes femmes. C’était assez génial parce que j’avais accès à toutes les images qui allaient être exposées. Il y avait 20 % de femmes photographes exposées cette année-là, ce qui n’est quand même pas énorme. Je voulais faire un choix de cent images, comme une histoire de la photographie en cent photos, sous le prisme des femmes. J’ai remonté le temps. C’était magique parce que j’ai commencé par Julia Margaret Cameron pour finir avec de toutes jeunes photographes comme Wiame Haddad. Ça a été un beau parcours qui a éclairé différemment l’histoire de la photographie.
Comment les galeries ont-elles accueilli le projet ?
Il y a eu toutes sortes de réactions. Des réfractaires, des gens qui ne comprenaient pas pourquoi on faisait ça. Mais je pense que globalement, ça a été bien reçu. Et surtout, Paris Photo et le ministère souhaitaient installer le parcours d’année en année. Il y a eu une presse démentielle. Évidemment, on sortait un sujet dont personne n’avait jamais parlé. Pourquoi aussi peu de femmes photographes étaient présentes dans le marché de l’art ? Mais la réponse était toute simple. Il y avait très peu de femmes photographes exposées dans les institutions et comme on le sait, les institutions ont tendance à dicter le marché. Mais les institutions ne valorisaient pas les femmes. On était sur une vision occidentale, très masculine, celle de « l’homme blanc de plus de cinquante ans », et cela se reflétait aussi dans les collections. L’année d’après, ils ont poursuivi le parcours. En 2020, il y a eu la pandémie et la foire a été annulée, mais on a quand même fait toute une série de conversations en ligne. En 2021, ils ont réitéré le parcours en invitant Nathalie Herschdorfer à concevoir le parcours et une suite de conférences. En 2022, il y aura une nouvelle commissaire, Federica Chiocchetti. Le parcours existe depuis cinq ans, d’une manière ou d’une autre, avec une volonté nouvelle cette année de Paris Photo et du ministère de le faire fonctionner en hors les murs et à l’année.
Ça a eu des répercussions dans tout le milieu ?
Oui, et finalement, d’année en année, les galeries ont joué le jeu. Elles ont présenté plus de femmes. Elles savaient qu’il y avait ce parcours. C’était un rendez-vous et mine de rien, on est arrivé en 2021 à 34 % de femmes présentes dans la foire. Donc en quatre ans, on a quand même bien progressé. Et aux Rencontres d’Arles maintenant, je pense qu’il y a davantage de femmes dans la programmation. C’est devenu un non-sujet. Il y a aussi eu ce livre majeur, « Une histoire mondiale des femmes photographes », par Luce Lebart et Marie Robert, paru aux éditions Textuel, qui a été vraiment important. On est en train de redécouvrir beaucoup de femmes artistes. C’est toute une histoire de la photographie qui est relue. Ce sera intéressant de voir comment dans les écoles on s’en saisit. C’est surtout ça qui me préoccupe. On a tendance à enseigner une même histoire de l’art, une même histoire de la photographie. Comment les nouvelles générations d’enseignants, d’historiens, vont-elles s’emparer de cette question du genre ? J’aurais été passionnée d’enseigner l’histoire de la photographie aujourd’hui, en la relisant complètement ; pas en cassant les icônes ou en déboulonnant les statues ; mais simplement en mettant en perspective d’autres artistes qui ont pu être aussi importantes que les hommes finalement. Qui n’étaient pas que des muses, des assistantes ou des femmes de, mais aussi et avant tout des artistes !
Donc toute cette période après LE BAL a été jalonnée de beaucoup de projets. Il y a aussi eu ce moment de résidence que j’ai eue à la Cité internationale des arts à Paris l’année dernière, où j’ai pu bénéficier d’un atelier. Je sortais de la maison, j’avais un espace de travail pour moi. C’était un atelier d’artiste. Ça a été un moment de travail différent pour moi. J’y ai conçu notamment l’exposition de Sandra Rocha au CPIF, Le moindre souffle. J’avais commencé aussi à travailler sur un projet d’exposition rétrospective avec Antoine d’Agata. C’était un endroit de conception que je n’avais jamais eu avant.
Une résidence de création.
Oui, une résidence qui était soutenue par le CNAP et par la Cité internationale des arts. On me donnait une bourse de travail aussi. Ça a été un moment important. Mais ça devenait vraiment trop difficile de pouvoir continuer à vivre de ce métier.
Il y a aussi eu un changement de vision du métier de commissaire et de tous ceux qui œuvrent aux côtés des artistes.
Le métier de commissaire d’exposition n’existe pas vraiment. Ce n’est pas un métier qu’on apprend. Il n’y a pas vraiment de formation pour ça et il n’y a pas de statut non plus. Donc ça reste quand même assez précaire. C’est vrai que ce métier s’est beaucoup développé ces dernières années. Je pense que les institutions n’ont pas toujours les moyens d’avoir des commissaires à demeure et font appel à des commissaires extérieurs. Il y a de plus en plus de commissaires aujourd’hui qui travaillent avec des artistes. C’est sûr que ce n’était pas le cas avant. C’est un métier qui s’est démocratisé mais pour en vivre, c’est impossible. Il faut écrire à côté ou enseigner, faire mille autres choses.
Il y a un accompagnement du commissaire à beaucoup d’endroits du travail de l’artiste. C’est vraiment un travail de long terme. C’est pour ça que c’est si difficile d’en vivre. Ça dépasse complètement le moment de l’exposition. C’est avant, pendant, après. Dans les collaborations que j’ai menées avec des photographes, ça a été comme ça. C’était vraiment des projets de longue haleine, sur plusieurs années. Et en effet, avec une fidélité pour certains.
Un peu comme entre les photographes et les éditeurs.
Oui je mettrais ça en perspective avec le travail d’un éditeur. C’est un peu la même chose. Aller puiser dans la matière de l’artiste, en amont, et travailler à sa mise en forme dans un second temps. En effet, le photographe peut avoir une certaine fidélité à l’éditeur et à un commissaire. En général, quand tu travailles bien avec un artiste, a priori, lui n’a pas envie de changer. C’est une relation de confiance et de dépendance aussi, d’accompagnement. Tu as quand même beaucoup de rôles à la fois, donc généralement, l’artiste a envie de continuer. Les artistes avec lesquels j’ai travaillé, finalement sont souvent revenus dans mon parcours.
J’ai l’impression que depuis quelques années, il y a beaucoup de prises de conscience autour de la photographie. On parlait des femmes photographes. Il y a tout ce qui concerne les droits d’auteur aussi.
C’est à peu près concomitant. Le ministère de la Culture s’est saisi en effet de cette question du droit de représentation et de la rémunération des artistes dans les expositions. Il y a une vraie problématique aujourd’hui à ce que les photographes, les artistes en général, soient payés pour leur travail. Cette problématique est valable aussi sur Internet. C’est la question de la valeur de l’image, globalement. Et malheureusement sur internet, cette question est abyssale puisqu’aujourd’hui une image circule à des milliers d’endroits sans que le photographe ne touche un centime. C’est une question très compliquée, alors qu’on est en train, à mon avis, de résoudre la question du droit de représentation dans les expositions. On observe en tout cas une vraie amélioration, même s’il y a encore beaucoup de musées ou de festivals qui ne comprennent pas qu’un photographe ou un artiste doive être payé pour montrer son travail. Il y a souvent ce jeu entre « On produit une pièce, donc l’artiste devrait s’en contenter. Et il va la vendre. Donc je ne vois pas pourquoi on lui payerait des droits en plus ». La question du statut de l’artiste évolue lentement, là où le musicien et le comédien, le metteur en scène ont largement dépassé toutes ces batailles. Ça ne viendrait à l’idée de personne de ne pas payer un musicien quand on l’invite dans un festival. « Est-ce que l’art doit être gratuit ? » Quand on va voir une exposition, est-ce que ça doit être gratuit ? Quand on va voir un spectacle, il me semble que ce n’est pas gratuit. C’est aussi la valeur des choses qu’on est en train d’interroger.
Toute l’économie autour du photographe dont lui-même ne se sent pas bénéficiaire.
Il se sent souvent le grand perdant parce que tout le monde est payé, sauf lui. Des festivals comme les Rencontres d’Arles, en effet, doivent donner l’exemple. Étant donné qu’ils ont quand même des budgets importants. Maintenant, ce n’est plus un sujet, mais ça l’a été encore assez récemment. Et moi, je me bats tous les jours avec des lieux, des festivals qui ne comprennent pas qu’il faut payer des artistes.
Depuis septembre 2021, vous avez pris la fonction de cheffe du Département de la photographie, auprès de la Direction générale de la création artistique au ministère de la Culture. Le milieu de la photographie a eu peur à un moment du « déclassement » de la Délégation de la photographie au statut de simple bureau, rattaché à la Délégation aux arts visuels. Depuis, il y a eu de nombreux projets et mesures qui ont été mis en place et qui je pense, sont à même de rassurer tous les acteurs. Le site du ministère est relativement bien documenté et sont présentés le Parlement de la photographie, le rapport Franceschini et les 31 mesures structurées autour de cinq axes.
Je pense que le milieu peut être rassuré. Après, je comprends les inquiétudes du fait de la réorganisation à la Direction générale de la création artistique. La Délégation à la photographie qui était une délégation au même titre que la Délégation aux arts plastiques ou au théâtre, a été transformée en bureau, puis en Département, au sein de la nouvelle Délégation aux arts visuels. Mais en toute logique, on peut comprendre que la photographie aille au sein des arts visuels. Ça ne me choque pas. Au contraire, je trouve ça plus constructif et nourrissant d’appartenir à une Délégation qui rencontre nos préoccupations. Un photographe a des problématiques en commun avec les artistes plasticiens, notamment sur la question des droits. Même si un photographe peut aussi être artisan, journaliste. Ça, c’est la spécificité de la photographie. Mais rien n’a changé au final. L’équipe est restée la même. Le budget est en progression et je suis pleinement intégrée dans le comité de direction de la DGCA. En mars 2021, il y a eu ce rapport qui a été commandé à Laurence Franceschini par Roselyne Bachelot sur le financement et la production des œuvres photographiques. Quand je suis arrivée, elle venait de rendre son rapport d’étape. Ça a été l’opportunité de se saisir de cette proposition et de travailler avec elle et les directions du ministère concernées par la photographie, à la consolidation de ce rapport en vue de sa publication. J’ai passé les quatre premiers mois de mon mandat à travailler sur le fond du rapport, car la photographie est non seulement présente à la DGCA, mais également à la DGMIC (Direction générale des médias et des industries culturelles), à la DGPA (Direction générale du patrimoine et de l’architecture), et au secrétariat général. En arrivant j’avais quand même beaucoup de questions concernant le statut des photographes, les photojournalistes, les éditeurs de presse, le patrimoine photo. Il a fallu que je prenne mon bâton de pèlerin et que j’aille rencontrer toutes ces directions pour qu’on commence à travailler, et qu’on consolide les mesures proposées par Laurence Franceschini pour les rendre viables, et qu’une fois le rapport publié, on puisse réellement se mettre au travail. La publication du rapport a tardé, mais il a été publié le 17 mars 2022. Les réseaux de la photographie étaient vraiment en attente de sa publication, puisque plus d’une cinquantaine de personnes du monde de la photographie avaient été auditionnée. C’était important qu’il soit publié avant le changement potentiel de gouvernement, puisqu’il allait tracer notre feuille de route pour les années à venir. Ce rapport est structuré en cinq axes pour rendre lisible les problématiques du milieu. Et à l’intérieur de ces axes, Franceschini propose 31 mesures. Maintenant, on a une feuille de route pour les prochains mois et les prochaines années. On va pouvoir commencer à travailler sur certaines de ces mesures dans les semaines qui viennent je l’espère. Je suis très heureuse d’être arrivée à ce moment-là et d’avoir permis à ce rapport de se consolider et d’apporter aussi mon expertise à Laurence Franceschini. C’est un outil très précieux.
Il y a également eu la création du Parlement de la photographie ?
C’était en 2019 et on organise la troisième édition en 2022. Le Parlement de la photographie est une instance de concertation entre professionnels du secteur. L’année dernière, ça a été plutôt deux jours de colloques, de débats. Cette année nous avons construit un programme de tables rondes et de rencontres autour de problématiques du métier, que ce soit sur la question du statut, du droit d’auteur sur Internet, de la commande publique, de la coproduction d’exposition, des collections photographiques… On a essayé de travailler le programme au regard des recommandations du rapport Franceschini. Il y a une très belle dynamique pour la photographie au ministère. Les photographes se plaignent souvent, et ça fait partie du jeu. Mais je pense qu’on ne mesure pas à quel point on a de la chance en France, d’être doté comme ça. Quand j’ai pris mon poste, on m’a dit : « C’est le seul pays au monde où il y a un représentant pour la photographie dans un ministère », de la Culture en l’occurrence. Je pense qu’il faut mesurer ça. Et ça fait quand même de nombreuses années que la photographie existe au ministère de la Culture. Agnès de Gouvion Saint-Cyr, qui était inspectrice générale pour la photographie, a énormément œuvré pour ce médium au ministère. Aujourd’hui la photographie est face à de nouvelles problématiques, notamment face aux plateformes, aux GAFAM. Mais on a de la chance en France. Il y a beaucoup de lieux d’exposition et des moyens, même s’ils ne sont jamais suffisants, pour les festivals, les centres d’art, les éditeurs, la presse également. Le Centre national des arts plastiques, le Centre national du livre, beaucoup d’opérateurs sont là pour aider les auteurs, les artistes. C’est très important.
La crise sanitaire a été un accélérateur.
Je pense qu’en effet, grâce à l’argent qui est arrivé dans le cadre du plan de relance, il y a eu des dispositifs qui ont été créés. Les artistes ont pu vivre cette période plus « sereinement », plus décemment. Certains d’entre eux auraient plongé s’il n’y avait pas eu ce soutien de l’Etat. Aujourd’hui, pour les institutions, l’avenir peut poser question. Il y a eu de l’argent au moment de la pandémie, mais le plan de relance n’existe plus et le public n’est pas encore forcément revenu comme il fallait dans les lieux. Cela peut commencer à devenir problématique dans les budgets, surtout à partir de 2023. Il va falloir observer les fréquentations, les billetteries. Par exemple à Arles, ils ont eu 112 000 visiteurs en 2021. Ils en avaient 140 000, 150 000 les meilleures années. Mais on était sur la fin des contraintes sanitaires. Aujourd’hui, on a quand même vraiment rouvert les lieux. Il n’y a plus de distanciation sociale. On verra en 2022 si cela reprend vraiment.
La prudence est-elle de mise ?
Oui, on est prudents parce qu’on voit que c’est pareil dans les théâtres, dans les cinémas. Le public n’est pas forcément revenu. Je n’ai jamais trouvé autant de places de théâtre à Paris qu’en ce moment. Donc ça veut bien dire que les gens vont moins au théâtre, au cinéma, dans les expos. Il y a quand même une génération qui était très en demande de « consommation culturelle » qui sort moins, qui a peur. C’est pour ça qu’il faut aller chercher maintenant les jeunes, qui eux, sont dans autre chose, sur Internet. C’est le grand enjeu à mon avis de la culture aujourd’hui. Travailler avec de nouveaux publics.
Le Plan festivals, c’est pour favoriser la fréquentation des festivals ?
Le ministère de la Culture vient de mettre en place de nouveaux moyens pour soutenir et redynamiser d’une manière globale les festivals français sur le territoire, dans toutes les disciplines. Ce dispositif vient renforcer la déconcentration et la territorialisation de la culture si importante. C’est fondamental que le ministère aide des festivals qui ne le sont pas. On a souvent tendance à flécher les aides vers les plus gros, les plus grands. C’est quelque chose qui m’a beaucoup frappé en arrivant au ministère. Grâce à ce plan festivals, j’ai beaucoup travaillé avec mon équipe à rebattre les cartes, avec les conseillers en DRAC, en leur demandant ce qu’ils voyaient d’important sur leur territoire comme festival de photographie, à quels endroits on pouvait ajuster. J’ai essayé de redessiner la cartographie puisque le ministère aidait en 2019-2020 dix-sept festivals de photographie. Aujourd’hui, on serait plutôt à une trentaine. Ça fait partie de mes missions, de faire une veille sur les lieux, les festivals. Il y a énormément de sujets, il y a la question du statut du photographe. On a beaucoup de problématiques qui sont très complexes et très diverses. On n’est pas que dans le champ de la création, on est dans le champ des médias et du patrimoine également.
En parlant des médias, je pense qu’ils ont aussi un rôle essentiel pour faire connaître les expositions et les manifestations en dehors de Paris.
Je ne suis pas sûre que l’on ait une critique photographique très dynamique en France malheureusement, contrairement aux années passées. Il y a un manque de moyen cruel dans les rédactions. Les journalistes peuvent de moins en moins se déplacer. On a toutefois la chance d’avoir de bons journalistes photos dans quelques quotidiens de presse nationale et quelques magazines et journaux spécialisés. Mais envoyer des journalistes sur le terrain est devenu de plus en plus rare. C’est triste car cela ne participe pas au rayonnement dont ont tant besoin les artistes.
C’est la question de l’argent investi dans un projet et de l’argent investi pour le faire connaître.
La presse est très prescriptrice donc forcément, ça passe par là. Parfois, ça vaut le coup d’investir dans une communication. On se rend compte qu’il y a quand même un réseau, une fidélité d’un journaliste à suivre les recommandations d’une agence. C’est parfois incontournable si on peut s’en donner les moyens, car le réseau de l’attaché(e) de presse compte beaucoup. Mais une personne dans une équipe peut aussi être offensive auprès des journalistes, les contacter, même parfois avoir un budget pour les faire venir. Un voyage de presse, ça aide beaucoup. C’est toute la difficulté aussi des expositions qui ne circulent pas. C’est une problématique liée aux arts visuels, parce que le spectacle vivant ne rencontre pas ces mêmes difficultés. Un spectacle tourne, il est co-produit de fait au vu de l’ampleur des moyens nécessaires, et donc a priori, il est quand même montré dans plusieurs endroits. Ce que je ne comprends pas, en tout cas en tant que spectatrice, quand je vois un article sur une pièce, quel que soit le lieu où elle est présentée, ça sert le lieu bien sûr, mais surtout la pièce, avant tout, et donc les artistes.
La pièce n’est pas attachée à un lieu.
Elle est surtout attachée à son metteur en scène et à ses artistes. La seule chose que je regarde, c’est si cette pièce passe près de chez moi un jour. Je ne comprends pas pourquoi une exposition souffrirait du fait qu’elle ait été présentée ailleurs. Si on lit un article et qu’on se dit : « Tiens, cette expo a l’air fantastique, génial, elle va être présentée bientôt près de chez moi. J’irai la voir, ». C’est une mécanique qu’on a beaucoup de mal à mettre en place dans les arts visuels. Bien sûr, je simplifie et les choses sont plus compliquées, mais elles peuvent aussi s’améliorer, j’en suis convaincue.
Il n’y a pas cette culture de l’exposition itinérante.
Pas du tout, et on y travaille.
Pour les commandes photographiques de la BnF, y a-t-il une diffusion prévue ?
Oui, c’est prévu. Ce sera un cas d’école en tout cas. Il faut que les mentalités changent parce que la finalité de tout ça, c’est le public. Je ne peux pas croire que parce qu’une exposition a été montrée à Arles, tout Paris l’a vue. Je ne peux pas croire que parce qu’elle a été montrée à Paris, toute la France l’a vue.
Il n’y a qu’à voir quand les Rencontres d’Arles ont fait une installation au J1 à Marseille, fin 2017. C’était une partie de leur programmation qui s’est délocalisée un mois après la fin des Rencontres.
Et ça a marché ?
Oui ça a marché.
Bien sûr. Evidemment, ce n’est pas le même public. Il y a plein de gens qui ne peuvent pas aller à Arles parce que c’est cher, parce que le public est peu mobile. Arles, ou d’autres festivals, pourraient davantage développer cette mécanique de circulation des expositions sur le territoire.
Les photographes se retrouvent avec des tirages plein leur atelier ou chez eux, qu’ils n’ont pas forcément vendus et dont ils ne savent pas quoi faire.
Écologiquement, ça pose question. Ensuite, si les expositions circulaient un peu plus, ça activerait des droits d’auteur pour les photographes. Les budgets pourraient être fléchés sur des droits d’auteur, un peu de commissariat. Ce serait vertueux pour tout le monde. Cela diminuerait aussi les coûts de production. Au ministère, on travaille vraiment à questionner la mutualisation des forces de production. Ça fait partie de mes missions, sur le haut de la pile.
Quels sont vos projets ?
Nous montons la prochaine édition du Parlement de la photographie, qui aura lieu les 7 et 8 juin prochain au Palais de Tokyo. Il y aura de belles rencontres. Je dois aussi aller voir ce qui se passe sur le territoire et comprendre les programmations, les enjeux de chaque acteur. C’est la saison des festivals. C’est vraiment important de se déplacer. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’initiatives qui sont encore en train d’être montées partout en France. Et puis nous avons un nouveau gouvernement qui arrive dans quelques jours. Nous sommes suspendus à ce changement. Est-ce que le/la prochain(e) ministre sera attentif/ve à la photographie ? Je l’espère de tout mon cœur !