Soraya Amrane & Franck Pourcel Revisiter les archives
Entretien avec Soraya Amrane, éditrice et Franck Pourcel, photographe, à l’occasion de la sortie du huitième titre de la collection Carnets (Zoème/Filigranes) dédié au travail de ce dernier.
Propos recueillis par Christophe Asso
Soraya Amrane, le carnet de Franck Pourcel est le huitième de la collection co-éditée avec Filigranes, comment est née cette idée de collection et quel en est le principe ?
Mon travail en tant que galeriste m’a amené à travailler avec de nombreux photographes. Ces rencontres, notamment à l’occasion de lectures de porte folio, de projets d’exposition ou de publications, donnent lieu à des discussions. Ce sont des temps où je découvre des documents de travail, des bouts d’essai, des tirages de lecture. La proximité qui s’installe entre nous après plusieurs années d’échanges instaure un rapport de confiance qui nous permet d’aller assez loin. L’idée de créer une collection avec des documents, photographies, etc., a commencé à se préciser. Le processus de création est très intéressant, et j’ai pu, après des années de rencontres, constater que chaque photographe met en place des protocoles de travail différents, une «façon de faire» qui lui est propre. C’est cette diversité dans la pratique de la photographie que je tente de restituer dans ce petit format, et cette collection a rapidement trouvé son public.
La collection a évolué, les précédents cahiers étaient principalement construits à partir de fac-similés de carnets existants. Les deux derniers carnets (Anne-Marie Filaire / Franck Pourcel) sont pensés différemment, pourquoi cette orientation ?
On retrouve dans tous les cahiers publiés des documents de travail : des fac-similés, des documents numérisés, des photos de photos, des planches-contact, ou encore des notes et des textes tirés (et parfois retravaillés pour l’occasion, comme il arrive avec le texte dans le cahier de Pourcel) des carnets des photographes. L’idée est de donner corps et sens aux archives qu’ils nous proposent. Les deux derniers cahiers ont été pensés aves les mêmes critères. C’est plutôt que nous avions devant nous des photographes qui ont un parcours de plus de 30 ans. Revoir un travail sur une aussi longue durée nous a donné plus d’ampleur dans le choix des images/documents. Je pense que cela a été une expérience intéressante pour les photographes. Avec Franck Pourcel par exemple, que je connais depuis plusieurs années, le désir de faire quelque chose ensemble a toujours été présent. C’était un défi de penser une publication sous la forme du cahier, vu son intense activité de photographe de terrain. Franck a été dès le début enthousiaste à l’idée de revisiter ses archives et nous nous sommes embarqués dans 30 ans d’images, toute une aventure.
Franck Pourcel, comment s’est opéré le choix des photographies présentées ?
Ces dernières années, j’ai travaillé à plusieurs reprises avec Soraya et Rafael, de l’association Zoème, pour préparer divers projets d’exposition. Cela leur a permis d’avoir accès à une bonne partie de mes archives. Au fil du temps et des échanges, une relation de confiance et d’amitié s’est instaurée. En 2018, Ils m’ont proposé de faire un cahier ensemble. Je connaissais déjà la collection Cahiers, dont j’apprécie la teneur expérimentale. Pour mon cahier, l’idée était de revisiter mes archives, et d’essayer de faire émerger un autre regard, en décalage par rapport à mes travaux précédents.
Vous m’avez dit tenir un journal en complément des images que vous réalisez, quelle est la place de l’écrit dans ce carnet ?
Le cahier a été aussi l’occasion de travailler sur le rapport image/texte. À partir de textes déjà existants, j’ai bricolé, en collaboration avec Rafael Garido, une sorte de cut-up. On visait un ton, une tonalité spécifique. Sans les commenter, il accompagne les images : c’est ma voix, mais qui d’une certaine manière m’est devenue étrangère.
Pourquoi avoir choisi le renne comme illustration de couverture ?
Comme pour chaque cahier, le choix est fait par la graphiste à partir d’une des photographies. Le renne symbolise une sorte de virginité de la nature, une nature originelle, une forme de pureté du milieu naturel renforcé par le blanc omniprésent dans cette photographie. Puis il y a son regard qui vient nous interroger. À travers le cadre, il regarde le désastre, le monde des vivants et les conséquences des confrontations avec les humains. En même temps, il y a un élément qui viole sa «pureté». Un bout de plastique bleu est accroché sur ses bois, comme le signe du désastre. Lui aussi n’est plus pur, déjà envahi et englouti par l’anthropocène. Enfin, on peut le voir comme un fantôme, disparaissant peu à peu dans ce monde qui ne veut plus de lui.