Pierre Ciot Militer pour la photographie
En parallèle de sa carrière de journaliste-auteur photographe, Pierre Ciot milite depuis les années 70 pour la défense des droits des photographes. Désormais Vice-Président de la Saif (Société des Auteurs des arts visuels et de l’Image Fixe), il constate toujours une méconnaissance de la profession sur la question de la gestion collective des droits d’auteur.
Propos recueillis par Christophe Asso
Quel est votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené à devenir photographe ?
Je suis un peu atypique, parce que je suis né à Aix-en-Provence, bizarrement, pour un Marseillais. C’est ma mère qui m’a élevé, puisque mon père est parti quand j’avais cinq ans. J’ai été élevé dans un milieu de petit fonctionnaire, pauvre intellectuellement. Chez moi, il n’y avait pas de livres, pas de disques. La photo, c’était quelque chose de complètement inexistant. Scolairement, je n’étais pas quelqu’un de très brillant. J’avais des difficultés, notamment de dysorthographie et sans doute de dyslexie. C’était très pénalisant. Je me suis retrouvé au lycée agricole à Gardanne. Je voulais être ingénieur agronome. J’y ai passé quand même six ans. C’est un moment important de ma vie, qui m’a forgé intellectuellement, qui m’a apporté des bases. À l’époque, dans les lycées agricoles, il y avait deux heures d’éducation culturelle. C’est là que j’ai découvert le cinéma et le journal Le Monde. Avec Christian Poulain, un de mes professeurs, on a mené un projet photographique pendant deux ans dans les rues d’Aix-en-Provence, du street art avant l’heure… C’était en 1975-76. Je n’avais même pas d’appareil photo. C’est ma professeure de français qui m’avait prêté le sien.
C’est comme ça que j’ai appréhendé la photographie. J’avais envie d’être journaliste. Comme j’avais des difficultés d’écriture, je me suis dit : « puisque je ne peux pas écrire, je vais faire des photos. » Après une année chaotique en sciences à la faculté à Saint-Charles, où j’ai plus milité qu’étudier, s’est ouvert la section photo, image et son, dans ce qui était l’ancêtre de l’école SATIS à Aubagne.
Le gros avantage de cette formation, c’est que des photographes reconnus venaient enseigner. J’ai donc eu des cours avec Jean-Pierre Sudre et Denis Brihat. C’était passionnant, bien que ce qu’ils faisaient était loin de mes préoccupations. Ce que je voulais faire, c’était du photojournalisme, de la photo pour la presse. J’étais concentré là-dessus. Il n’y avait que ça qui m’intéressait. Dans les autres intervenants, il y a eu aussi Lucien Clergue et Jacques Windenberger. Évidemment, avec ce dernier, j’avais plus d’atomes crochus. Dès cette époque, j’ai adhéré à l’organisation professionnelle qui s’appelait l’ANJRPC (Association Nationale des Journalistes Reporters Photographes Cinéastes). C’était Jacques qui m’en avait parlé. Dès que je suis sorti de l’école, en 1978, je m’y suis inscrit et j’y suis toujours. Aujourd’hui l’ANJRPC, après de multiples changements, est désormais dans l’UPP (Union des Photographes Professionnels) On a gardé une amitié très profonde avec Jacques avec lequel je communique beaucoup aujourd’hui. J’ai aussi été marqué par les photographes de l’agence Viva : Martine Franck, Guy Le Querrec, Michel Thersiquel, Hervé Gloaguen. Et d’autres comme Doisneau, Cartier-Bresson, Dorothea Lange, Sabine Weiss. Au fil de ma vie, ce sont des gens que j’ai rencontrés. Tous ces photographes qui me paraissaient complètement inabordables, je les ai côtoyés dans mes périodes de militantisme à l’ANJRPC. À l’époque, ils y étaient tous. Tous ces gens étaient très solidaires et militaient à l’ANJRPC qui a beaucoup fait pour les journalistes, en parallèle avec les autres associations qui existaient pour les différents métiers de la photographie.
Déjà à l’époque, vous étiez très sensible à ces questions ?
Dès le début. De par ma nature et ma formation, j’ai toujours été militant. Toute ma vie a été rythmée par le militantisme, que ce soit dans la photographie ou autre. J’ai commencé à faire des photos en 1975 mais on peut dire que j’ai commencé réellement en 78, quand j’ai obtenu la carte de presse. Carte de presse aujourd’hui qui est extrêmement discutée, mais à l’époque aussi, c’était compliqué de l’avoir. Le matin où je l’ai reçu par courrier, je faisais des bonds de cabri dans mon lit, parce que c’était quand même le sésame. C’était une reconnaissance du métier. Ça faisait quand même une année que j’exerçais dans la presse.
Quand je dis que j’étais militant, j’étais vraiment militant. Puisque ma première parution, c’était dans le journal Rouge de la Ligue communiste. Il y avait quand même trois quotidiens d’extrême gauche dans ce pays à l’époque. Au niveau du recul de la liberté de pensée, on est vraiment très loin aujourd’hui. Le journal Rouge, c’était une petite rédaction. Il faisait même un décrochage régional. Le samedi, il y avait une page Marseille avec une rédaction locale.
J’ai fait toute ma carrière à Marseille, en travaillant évidemment avec des journaux qui étaient à Paris et en correspondance pour leurs besoins en photo pour la région. Pour Rouge, je faisais des photos qui passaient dans le journal national. À l’époque, le responsable de la rédaction, c’était Michel Samson. J’ai aussi travaillé pour Libération, qui n’avait rien à voir avec celui de maintenant, pour lequel j’ai effectué des reportages avec Alain Dugrand un des fondateurs de Libération..
Puis, il y a un événement qui a été marquant pour moi. C’est le prix Air France/Ville de Paris, en 1980. J’avais présenté un travail sur le port. À l’époque, le mode de présentation des dossiers n’avait rien à voir avec maintenant. Tu pouvais être jugé sur une photo. Quand j’allais voir les journaux dans les années 80, j’avais un dossier avec une quarantaine de photos. Sur les 40 photos, il y avait 35 sujets. Aujourd’hui, tu vas dans un journal te présenter comme ça, ils vont te regarder avec des yeux ronds, parce qu’ils veulent que tu leur proposes des sujets, que tu leur proposes ce qu’ils appellent du documentaire. Dans les années 80, les photographes documentaires, comme Jacques Windenberger ou Denis Roche , étaient considérés comme de mauvais photographes. Ils faisaient du documentaire, ils alignaient des photos et on considérait que ce n’était pas de la bonne photographie par rapport à ce qui était produit par Gamma, Sygma, qui était capable d’envoyer des images fortes toutes seules et qui n’avait pas besoin de mettre toute une planche contact.
Ce travail, c’était sur les chantiers navals à La Ciotat qui représentaient en 1978 une grosse actualité économique. C’était la fin de la réparation navale et la fin des chantiers. Pour le prix, j’ai gagné un billet d’avion pour Varsovie et l’hébergement pour quatre ou cinq jours. Kodak nous avait donné des films. Je suis parti avec Jean-Philippe Charbonnier, qui était un personnage hors du commun et que je ne connaissais pas. Il y avait aussi Gladys qui avait obtenu le prix. Ça a donné lieu ensuite à une exposition avec l’association Paris Audiovisuel, dirigé par Jean-Luc Monterosso, qui est ensuite devenue la MEP. C’était ma première exposition.
Le fait d’être photographe à Marseille, d’avoir fait ce choix de rester est quand même quelque chose qui m’a pénalisé. Les choses se faisaient à Paris et à l’époque, c’était huit ou neuf heures de train pour s’y rendre. Mais ma vie était ici.
Ensuite, il y a eu la grande époque de l’AFP, qui a duré pratiquement dix ans, mais toujours comme pigiste indépendant. De 79 à 80 de manière épisodique puis à partir de 81, de manière plus permanente, jusqu’en 87. Là, j’ai vu ce qu’était l’actualité. J’étais vraiment au cœur du métier. À l’AFP, tu es le roi du monde. C’est un autre métier. En même temps, je continuais de collaborer avec d’autres titres. On n’était pas très nombreux en région. J’ai travaillé avec une quarantaine de journaux.
Les années 80, c’est vrai que ça a été le bel âge de la photographie, notamment pour les grandes agences de presse, comme Sygma et Gamma, qui étaient basées à Paris. Je ne suis pas resté à Sygma. La manière dont ils procédaient, ça pouvait être très paparazzi. Même si je n’ai rien contre les paparazzi, ce n’était quand même pas trop ma tasse de thé. Puis cette actualité qui pouvait faire de l’argent dans les journaux n’était pas à Marseille. Elle était sur la Côte d’Azur, à Nice et à Monaco. Il y avait un correspondant de Sygma à Nice. Sur Marseille, potentiellement, à chaque fois qu’il y avait un sujet qui pouvait faire des ventes, comme une visite de ministre, le gars de Nice venait. La seule manière finalement pour avoir des revenus conséquents vis-à-vis de cette agence, c’étaient les faits divers. Au bout d’un moment, j’ai compris ça et j’ai laissé tomber. Je me suis recentré plutôt sur des petites structures, des collectifs qui commençaient à se créer. C’était ma manière de travailler.
J’étais indépendant, mais ce n’était pas un choix. Je veux dire qu’on m’aurait proposé un poste à la Provence, je l’aurais pris. Mais tout était figé aussi dans le monde de la presse. À La Provence, il y avait peut-être 25 photographes. Il fallait attendre qu’il y en ait un qui parte à la retraite pour que tu puisses rentrer. Comme globalement, on était dans la même tranche d’âge, je n’ai jamais eu l’opportunité de bosser avec eux. À l’AFP, j’ai mesuré aussi ce que c’était le métier de photographe. C’est-à-dire, à la fois, tu es au sommet de la terre quand tu as un gros fait divers. Le lendemain matin, tu as ta photo de partout, vu la force de diffusion de l’AFP à l’époque puisqu’ils étaient les seuls. Quand il y avait un sujet comme la tuerie du Sofitel à Avignon, le lendemain, il y avait toutes les unes de tous les journaux européens qui étaient faites avec mes photos. Là, tu te sens le roi du monde. Trois jours après, c’est terminé.
Financièrement, c’était intéressant ?
Financièrement, non. Je n’ai pas connu l’âge d’or de tous mes copains à Paris, qui eux étaient payés sur des ventes énormes comme Paris Match. Je dégageais un revenu qui m’allait et on faisait avec. Je ne peux pas dire qu’on était complètement dans la misère. Ce qui m’a permis de tenir, c’est qu’étant à l’AFP, j’étais aussi dans un microcosme de journalisme marseillais. On était tous ensemble. D’un côté, il y avait la Provence, à l’époque, le groupe Le Provençal, avec tout son pool de journalisme. Et de l’autre côté, il y avait tous les autres de la presse. Une espèce de regroupement de tous les indépendants. Quand je parle des indépendants, c’était les correspondants de France Inter, d’Europe 1, de RTL, ceux qui gravitaient autour de l’AFP, qui était un deuxième pôle de sources d’information, en opposition au monopole que Le Provençal exerçait à l’époque. Maintenant, ça a un peu changé.
J’ai vraiment une formation de journaliste de la presse quotidienne et de la presse hebdomadaire. Pas une formation de journalisme au long cours. Avec Libération et Rouge, les premiers reportages que j’ai faits, c’est à la Cité la Paternelle et à la cité Bassens. Ensuite, j’y suis retourné par conviction, mais sans vouloir développer un projet où pendant deux mois, tu te mets en immersion comme on dit maintenant, et tu fais ton livre. Après, au revoir, merci. J’ai encore des copains à la Cité Bassens avec qui il y a une espèce de relation à la fois familiale et à la fois de témoignage.
En 87, j’ai été licencié de l’AFP qui était en pleine restructuration et ils supprimaient les laboratoires à Paris. C’est un laborantin qu’ils ont reconverti en photographe, qui est venu prendre ma place à Marseille. Puis j’ai eu l’opportunité de rentrer au magazine mutualiste Viva, où j’ai passé 25 ans. Ça a été un autre apprentissage de l’information, extrêmement passionnant. Travailler avec une rédaction de dix journalistes, participer au comité de rédaction. Tu as l’impression d’élaborer un produit, de participer à l’information et d’apporter une information, certes pas que mutualiste, mais vraiment de proximité avec un journal qui a les moyens de le faire. Parce qu’à l’époque, c’était un journal qui tirait à un million d’exemplaires dont 400 000 dans la région. On faisait un mini-journal de 24 pages avec une grande liberté d’action. J’ai donc beaucoup roulé, mais j’ai rencontré des gens extraordinaires dans le domaine de la santé.
Avec une autre approche donc.
Une approche moins “news” de l’information, moins sensationnelle. Une approche un peu plus au regard de ce que pensent les gens. Puis la qualité d’un journaliste comme Jacques Bonnadier a fait qu’on a fait des reportages extraordinaires. Dans le domaine de la santé, je crois qu’on a couvert à peu près toutes les maladies de la terre, avec beaucoup d’humanisme, parce qu’à la fois, on voyait les professeurs de médecine, mais on voyait aussi les patients, les malades, les représentants des associations. On travaillait avec les hôpitaux, que ce soit à Marseille ou à Toulon, dans une relation de confiance, compte tenu de la qualité de ce qu’on réalisait.
Je suis passé dans une presse où à chaque fois, j’étais tout seul. Ce n’était plus du tout la même relation. Il n’y avait pas du tout cette sensation d’agresser les gens. Pour moi, ça a été une période riche en photographie.
En rencontres aussi ?
Surtout en rencontres. Parce que ce qui me plaît dans la photographie, c’est vraiment la rencontre avec les gens. C’est ce qui compte. C’est vrai que pour Viva, il y a eu des rencontres que j’ai faites où finalement la photo durait très peu de temps. Par contre on pouvait rester un long moment avec les personnes. On avait vraiment le temps d’exister. Je me souviens d’un reportage sur un foyer d’handicapés lourds dès le plus jeune âge où j’ai passé trois jours. Finalement, on a publié quatre photos.
Il y avait un temps pour le travail.
Oui. J’avais un forfait, mais je suis resté là-bas trois jours. Ça ne me posait aucun problème. On n’était pas du tout tenu, ni sur la pellicule ni sur autre chose. C’était très confortable parce qu’il y avait vraiment une exigence de qualité.
Les rencontres, c’est ce qu’il y a de plus important finalement pour vous. Comment se sont construits vos projets personnels, Nés à Marseille et Humanités ?
La genèse du projet “Nés à Marseille”, c’est grâce à une copine qui organisait la fête de la sardine à l’Estaque. Ça faisait au moins quatre ou cinq ans qu’elle me disait « Pierre, il faut que tu fasses une exposition pendant ma fête de la sardine. » Je lui ai dit « J’ai une idée, pour l’an 2000, je vais faire 2 000 photos de gens qui sont nés à Marseille. » Les 20 premières photos, je les ai faites à l’Estaque en septembre 99. Suite aux discussions que j’avais eu avec Robert Terzian et Claude Almodovar j’ai décidé de faire les images en format carré 6×6 et en négatif couleur alors que j’avais toujours travaillé en 24×36. Je fais donc mes 20 premières photos et on les expose. J’expose aussi le projet et je reçois 40 lettres de gens pour les photographier.
La deadline, c’était l’an 2000. Je n’avais pas d’argent. J’avais l’idée de montrer une ville cosmopolite. Une fois, j’étais dans le huitième, pour photographier un couple, plutôt bourge. Pendant que je photographiais le monsieur, la femme me disait « Il va y avoir des arabes dans votre livre ? » J’ai dit « Si l’arabe est né à Marseille, il va y en avoir, oui. » C’est là que j’ai compris que j’avais atteint mon but.
Comment avez-vous démarché les gens ?
Après cette exposition à l’Estaque, j’ai donc reçu 40 lettres de personnes qui voulaient se faire photographier. Certains me donnaient juste leur adresse, d’autres le téléphone. Les 40, je les ai tous retrouvés, mais ça a été compliqué. Ensuite, il y a eu un effet boule de neige. La plupart jouaient le jeu et me donnaient une liste de dix ou quinze personnes que je contactais. Ça a roulé comme ça et après, on a affiné par des associations. Le CNPF (Conseil national du patronat français)m’avait donné une liste de tous les dirigeants d’entreprises qui étaient nés à Marseille et ils ont tous répondu. C’est comme ça qu’il y a Ricard, il y a Deleuze. Il y a une quarantaine, une cinquantaine de chefs d’entreprise. Pareil pour les politiques que j’ai démarchés, les culturels, etc. C’était assez passionnant. J’étais avec mon scooter, j’ai fait jusqu’à 20 ou 30 portraits dans la journée. Je me souviens d’un jour où j’ai fait une photo aux Goudes et le portrait suivant était après l’Estaque, au Rove.
La finalité du projet était de faire une exposition ?
La partie financement a été quand même la plus désagréable, avec des moments de découragement. Je m’étais mis dans l’idée que cette exposition devait se faire dans le hall du Conseil Général, que c’était un lieu qui était adapté pour accueillir 2 000 photos, et qu’en plus, ils avaient les moyens de produire. Ça n’a pas été possible parce que le bâtiment avait des malfaçons et c’était donc impossible d’accueillir une exposition de ce type. Tourne, vire. Finalement, ça a pu se faire avec le Conseil Régional. À partir du moment où j’ai su que ce serait exposé à la Région, ça a permis d’avancer. La plupart des photos ont été faites en 2000 et j’ai pu terminer en janvier 2001. Ça a été exposé en juin 2001. En janvier 2000, à un moment donné, j’ai dit « là, je ne vais pas y arriver. » J’avais dû faire peut-être 200 photos en 99. Tout restait à faire. J’ai fait un prêt à la banque de 100 000 francs. La banque m’a prêté 100 000 francs en janvier 2000 que j’ai pu rembourser un an après. Il fallait quand même oser.
Vous n’aviez aucune garantie ?
Aucune. J’étais rémunéré correctement à Viva et ça m’a permis de faire ce projet. C’est un gros travail. Je le faisais en plus de Viva. Je le faisais sur mon temps libre. Les prises de rendez-vous, je les faisais le soir.
Ça a eu un succès local incontestable. Les couvertures presse ont été importantes, y compris nationalement. Ma grosse déception quand même, c’est qu’à la fin de l’exposition à la Région, en septembre 2001, je voulais que le projet soit montré en dehors de Marseille. J’ai fait des demandes dans tous les festivals et à Paris. Ça n’a pas marché.
Avec des accueils très pittoresques, comme celui de Jean-François Leroy de Visa pour l’Image, qui trouvait le projet trop conceptuel ou à l’inverse, un festival qui m’avait dit que le projet était trop journalistique. La grosse déception, c’est que ça soit resté dans l’invisibilité. On parle beaucoup de l’invisibilité des photographes femmes et c’est vrai, c’est justifié. Aujourd’hui, heureusement qu’il y a une inversion de la courbe. Mais il y a aussi une invisibilité des photographes de province. Je ne suis pas quelqu’un qui se met en avant. C’est une des premières fois que je réponds à une interview comme ça pour parler de moi. Je veux dire, ce n’est pas dans mes habitudes. Je n’y arrive pas et on ne me le demande pas. Un projet comme ça, il aurait été fait par un photographe un peu reconnu à Paris, tout de suite, il y aurait eu une couverture beaucoup plus importante.
Ce qui est important, c’est que localement, il y ait eu des retombées. Est-ce que toutes les personnes sont venues voir l’exposition ?
Il y a des gens qui m’ont écrit pour me dire « Mon père était ravi, Il est décédé. On a mis la photo sur le buffet. Merci. » J’avais envoyé un tirage à chaque personne photographiée. Quand je photographie quelqu’un dans mon métier, dans la presse, je ne suis pas là pour démolir la personne. Je ne suis pas là pour lui faire plaisir non plus. Si le portrait ne lui plaît pas in fine, ce n’est pas très grave. Le portrait est fait pour les lecteurs. Là, j’étais un peu dans la même logique.
Durant tout le projet, j’étais très proche de Patrick Bardou et Varoujan Arzoumanian des éditions Parenthèses. Cependant, on n’a jamais parlé de livre alors qu’on était dans une maison d’édition. En janvier 2001, Varoujan m’appelle et me dit « On va faire un livre. » C’est un livre qui a coûté cher en production. J’ai pu prendre en charge les scans. Déjà, il y en avait pour 80 000 francs. Ils ont pris en charge tout le reste. Ce sont eux qui ont fait le livre mais à chaque fois, j’ai été associé à toutes les étapes de fabrication. Ça a été une expérience extraordinaire.
Et le projet Humanités, portraits de famille ?
J’étais en contact avec le service des femmes de la mairie de Marseille, l’ex CODIF. Ce sont elles qui m’ont contacté, parce qu’elles organisaient la première fête de la famille. Il fallait monter un studio photo au stade Vélodrome. J’ai travaillé avec Claude Almodovar qui est un photographe de studio talentueux et qui s’occupait de toute la partie éclairage et des tirages photo. Les gens repartaient avec leur photo.
La première fête de la famille, en 2009, a eu un succès énorme. Il y avait plus d’une heure d’attente pour se faire photographier. J’ai photographié 80 familles dans un décor années 30. Dans le décor il y a le fameux fauteuil Louis XV trouvé à Emmaüs et ça marche à merveille. L’année d’après, rebelote sur le thème de la mer. Le coup de génie, c’est que je n’ai pas lâché le fauteuil. On a fait quatre éditions avec à chaque fois une centaine d’images. En 2011, il y a la perspective de 2013, de Marseille, capitale de la culture. Je suis dans une période où je suis au creux de la vague. 2013, il est hors de question que ça se fasse sans moi. Je monte dix projets différents que je dépose partout. Au final, aucun n’aboutira. Je n’avais pas bien compris ce que c’était la culture, je crois.
Puis j’ai l’idée d’une expo de 2013 portraits de famille. On monte le dossier et là, on est suivi tout de suite par Nora Preziosi, l’élue responsable du service des femmes familles.
En 2012, on lance une série d’actions. On écrit partout dans les centres sociaux. J’installe une quarantaine de studios photo un peu partout dans Marseille.
Le projet a été validé et intégré dans le programme de Marseille Provence 2013 et aussi dans le off. Un des rares événements à avoir les deux validations.
Aviez-vous la volonté de montrer le projet en extérieur ?
L’idée des containers est très vite apparue. En gros, les containers, on s’en est servi comme supports. Mon idée au départ, c’était de les mettre sur le Vieux-Port. On avait le soutien à de la communauté urbaine, présidée par Eugène Caselli. Cependant, quand je lui ai présenté le projet, il m’a dit “ Le Vieux Port, on veut tout refaire. On veut casser cette image de port maritime de Marseille. Les containers sur le Vieux Port, ça ne le fait pas.” On est parti sur un plan B : le parc du 21ᵉ centenaire. La communauté urbaine a quand même payé la location des containers. Toute la production a été faite par le service de reprographie de la Ville qui a été extraordinaire. Des gens qui travaillent à merveille.
Dans votre parcours. Il y a un mot qui est revenu, c’est militant. J’aimerais aussi qu’on aborde toutes les questions sur la défense des droits d’auteurs. Ils sont liés à l’évolution du métier aussi de photographe, de photojournaliste que vous décrivez très bien dans votre parcours.
La défense des droits, je suis tombé dedans avec Jacques Windenberger et l’ANJRPC et très vite dans ma carrière, j’y ai été confronté.
En France, il y a une loi ancienne, très protectrice, sans doute la meilleure au monde. Le problème de l’application, c’est autre chose. Quand je suis rentré à l’AFP, je n’avais pas le droit de signer mes photos de mon nom. Seul le photographe titulaire signait de son nom. À l’époque, on envoyait ce qu’on appelle des belins. Quand j’envoyais mon belin, je mettais AFP-PC. Parti communiste. Je m’autocensurais. Ce n’était même pas la rédaction qui ne mettait pas ma signature. Alors que l’autre photographe, il mettait AFP- et son nom comme tous les photographes titulaires. Les pigistes n’avaient pas le droit de signer en leur nom.
Ça a été une première prise de conscience. Il a fallu se battre pour avoir ce droit et on l’a obtenu. Après, il y a eu l’application des conventions, le 13ᵉ mois, l’ancienneté. J’ai collaboré dans un journal mutualiste qui s’appelait Midi Hebdo, qui a fermé et avec d’autres photographes, on a été tous licenciés. Pour faire valoir nos droits suite au licenciement, parce que ce n’est pas le journal qui payait mais le fonds de garantie des salaires, on a été obligé de saisir le conseil de prud’hommes. Cette première procédure m’a permis de rencontrer un avocat, Dany Cohen, qui est devenu un ami. Avec lui, pendant ces 40 ans, on a construit une relation juridique et amicale. Il s’est spécialisé dans ces domaines de la presse et des droits d’auteur. Il avait une très grande connaissance juridique, mais il avait aussi besoin d’avoir les connaissances du milieu. Le militantisme au sein de l’ANJRPC faisait à chaque fois progresser les choses, sur le droit à la signature, le paiement, le respect des barèmes et des piges. Ça a été constant. Très vite, je suis rentré dans le conseil d’administration de cette association. C’était l’équivalent de l’UPP aujourd’hui (Union des Photographes Professionnels).
À l’époque, il y avait quatre ou cinq associations en fonction des métiers et c’était une fédération qui les regroupait. La défense n’était pas très bien organisée. En 86, on crée une association au niveau national, l’Union des Photographes Créateurs, avec une unité locale à Marseille. Pendant 20 ans, tous les mois, on organisait une réunion d’information et on faisait des lotos de la photographie, où on demandait à chaque photographe de nous donner une photo. Au lieu de gagner des bonbons et des poulets, on gagnait des photos. On invitait tout le monde, adhérents ou pas. J’ai dû renseigner la plupart des photographes marseillais. Tous ceux qui ont eu un problème, on les a renseignés.
Dans l’évolution de notre profession, en 99, on a vu qu’on était écartés de la gestion collective. On était en discussion avec les autres auteurs des arts visuels. Il y avait eu des tentatives de création de sociétés d’auteurs uniquement liées à la photographie mais ça avait été des échecs.
En 99, on décide de créer une société d’auteurs. Ça a été compliqué car on ne crée pas une société d’auteurs comme ça. Surtout qu’en face, il y avait la société d’auteurs officielle au ministère qui ne voyait pas d’un très bon œil qu’on arrive. On la crée avec les organisations professionnelles des différents métiers et on publie une liste de 200 photographes dans laquelle on trouve tous les grands noms de la photographie : Cartier-Bresson, Martine Franck, Arthus-Bertrand, Salgado,…. Le ministère est obligé d’acquiescer et on crée la Saif ( Société des Auteurs des arts visuels et de l’image Fixe) qui a quand même la particularité d’avoir les deux tiers des membres qui sont des photographes.
5 000 photographes membres ?
Oui, 8 000 membres et un peu plus de 5 000 photographes. C’est une société extrêmement démocratique, où chaque sociétaire a une voix et donc chaque sociétaire peut potentiellement être président s’il le veut. En tout cas, il peut participer aux élections. Évidemment, beaucoup ne le font pas. On est quand même dans le milieu de la photo, où les photographes commencent par penser à eux avant de penser aux autres. Je pense que ça se fait ailleurs aussi, mais chez nous, c’est quand même très prégnant. C’est-à-dire que quand tu rencontres un photographe, il commence par te parler de lui et éventuellement, il te parle un peu des autres
Aujourd’hui, après 22 ans d’existence, on est une société qui compte et qui répartit de l’argent. Nos 8 000 auteurs, tous les ans, touchent de l’argent.
Pouvez-vous expliquer ce que sont les droits collectifs ?
La gestion collective, ce qu’il faut savoir, c’est qu’en tant que photographe, on génère des droits d’auteur sur la base du code de la propriété intellectuelle, qui date de 1957, et qui a été ensuite enrichi notamment en 1985. Il s’agit de l’ensemble des droits primaires que chaque photographe revendique auprès de ces diffuseurs. La création de la copie privée en 1985 a permis d’obtenir le paiement de ces droits dit collectifs lorsque les utilisations ne pouvaient être identifiées individuellement comme la photocopie. Chaque photographe qui produit une photographie, est titulaire de ce qu’on appelle les droits moraux. À ce titre, une personne qui veut utiliser cette photographie, doit en premier lieu demander l’autorisation au photographe, lui expliquer ce qu’il va en faire et lui demander s’il est d’accord pour que cette photographie soit publiée dans un livre ou dans un journal. Ensuite, discuter du prix. Maintenant il existe des barèmes de la Saif pour aider les photographes. Aujourd’hui, les journaux ont souvent leur barème. C’est ce qu’on appelle le droit primaire.
Une photographie, du seul fait qu’elle soit imprimée dans un journal, va à un moment donné être photocopiée par le grand public. Théoriquement, tu n’as pas le droit de le faire si tu n’as pas demandé à l’auteur l’autorisation de le faire pour cet usage. Le législateur, en 1985, crée un droit de copie privée, moyennant le paiement d’une redevance qui est prélevée par un organisme qui s’appelle le CFC. Le montant total de ces redevances est ensuite réparti entre les photographes en fonction de leur déclaration. Par exemple, en 2020, j’ai eu quinze parutions dans La Provence, deux parutions dans Le Monde, une dans Libération, etc. En 2020, la Saif a touché de l’argent de la copie privée et va faire la répartition en fonction de ces déclarations.
La Saif reverse à chaque photographe membre une part de droits dits collectifs. Ces droits sont sur la reprographie. Aujourd’hui, le plus important, c’est la copie privée numérique. Ce sont toutes les photographies qu’on va mettre sur des appareils de stockage comme les ordinateurs, les tablettes, les disques durs et bien sûr les téléphones.
Pareil sur l’audiovisuel, sur la télévision. C’est ce qu’on appelle la copie privée audiovisuelle.
D’où vient l’argent ?
Individuellement, quand tu fais une photocopie chez toi, on ne peut pas le voir, mais les centres de photocopies payent une redevance, les entreprises aussi. La photocopie, ça commence à diminuer, parce qu’on en fait de moins en moins. Cependant, dans les années 2000, les entreprises faisaient toutes des revues de presse. Une entreprise comme Total, elle a 40 cadres, ce qui représente 40 photocopies. Total paie chaque année une redevance au CFC qui le répartit ensuite aux sociétés d’auteurs. Sur un smartphone qui vaut 700 ou 800 euros, 8 euros vont être reversés à la copie privée. Ce sont les fabricants qui payent directement, c’est-à-dire Apple, Samsung, etc.
Aujourd’hui, avec ton téléphone, tu vas dans un musée et tu peux faire des photos. Tu as le droit de le faire, sous réserve que tu n’en fasses qu’un usage privé. Si on supprimait la redevance, théoriquement, on n’aurait plus le droit de le faire.
Pareil pour la télévision. Quand j’ai fait mes expositions, France 3 est venu à chaque fois et ils ont filmé. Évidemment que j’étais d’accord pour qu’ils le fassent. J’ai répondu à l’interview. Je n’ai pas envoyé une note d’auteur en disant : « Vous me devez tant. » Je l’ai déclaré à la Saif et derrière, j’ai perçu des droits au titre de la retransmission par câble.
Oui, d’où l’intérêt de connaître l’existence de ces droits collectifs ! Pouvez-vous communiquer une fourchette moyenne des droits reversés par la copie privée ?
C’est très variable. Il vient d’y avoir un rapport justement là-dessus. Ce que j’ai retenu des courbes, c’est que de toutes les sociétés d’auteurs, on est la plus égalitaire. La différence entre celui qui touche beaucoup et celui qui touche le moins, chez nous, est très basse. Je pense que notre taux médian est autour de 350 ou 400 euros, alors qu’il peut être autour d’une trentaine d’euros annuels dans d’autres sociétés d’auteurs.
C’est une source de revenus non négligeable.
Aujourd’hui, avec le peu d’activité que j’ai, je touche autour de 800, 1 000 euros par an.
Je ne comprends pas pourquoi certains photographes, notamment à Marseille, ne s’inscrivent pas à la Saif. J’ai pris la peine d’écrire un mail à tous en expliquant tout cela, en leur mettant les documents. Ils n’avaient qu’à signer. J’ai eu très peu de retours.
Ça aussi, ça fait partie de notre travail de militant. La Saif, c’est pratiquement un tiers de mon temps. Je le fais volontiers. Il y a des contreparties intellectuelles qui sont intéressantes. Se lier d’amitié avec Jane Evelyne Atwood ou encore Bernard Plossu par ce biais, c’est quand même assez extraordinaire. Il y a Jane et il y en a bien d’autres. Puis on s’aperçoit qu’on est extrêmement respectés. Je suis quand même un peu moins invisible sur la scène militante.
Le principal de notre temps, c’est quand même de démarcher les photographes. Alors que je préférerais le consacrer à du militantisme sur la défense du droit d’auteur, sur l’évolution du droit d’auteur. Du travail, il y en a. Dans les rapports avec le ministère, on a joué un rôle important pour que les choses changent et qu’elles ne se détériorent pas, comme ça a failli se faire avec le bureau de la photo.
Sur l’ensemble de la profession, on a une idée du pourcentage de photographes qui font justement appel à un organisme de gestion collective ?
Oui. Il n’y en a pas beaucoup finalement, parce qu’on a 5 000 photographes à la Saif. Peut-être un petit millier à la Scam. Je dirais qu’il y en a un peu moins de 10 000 sur un total de 40 000 photographes.
Toute cette partie de recrutement, pour nous, est importante à faire, parce que c’est ce qui nous permet aussi de peser dans les négociations. Là, on est quand même en balance. Sur les droits liés à la copie privé numérique, on est en discussion pour les partage avec la SACEM et les autres société d’auteurs. On n’est pas tout à fait les mêmes. Tu as d’un côté un monstre et de l’autre, une petite société avec dix salariés.
Il faut quand même préciser que sur tout l’argent qui est perçu pour les droits collectifs, il y a un quart qui est consacré à l’action culturelle.
C’est devenu une partie importante des missions de la Saif, de par notre extension et l’augmentation des droits perçus. Effectivement, dès 1985, Jack Lang a eu l’idée, pour faire passer la pilule aux parlementaires, qu’il y ait un quart des sommes qui soit consacrées à l’action culturelle, donc à l’aide directe à la photo. C’est un budget de 400 et 450 000 euros en fonction des années. Ce sont les choix du conseil d’administration et des élus. La Saif est gérée par les élus. Dans la vie démocratique de la société, c’est vraiment le conseil d’administration dans son ensemble qui est décisionnaire. Pas que le président.
On est issu des organisations professionnelles et on a vraiment cette culture. Quand on a décidé de faire de la répartition de la copie privée, la première règle était de ne pas faire d’aides individuelles. Pourquoi aiderait-on Pierre plutôt que Paul ? Deuxièmement, on aide toutes les structures. On aide des très grosses structures comme les Rencontres d’Arles ou Visa pour l’image, et ça depuis le début. On aide aussi des toutes petites structures, parce qu’on pense et on le voit par moment, on est les seuls partenaires privés de structures, de petits festivals, de bandes dessinées, de photographie ou d’initiatives. Au fil des ans, c’est un travail énorme. Comme ça a pris beaucoup d’ampleur, la loi a été modifiée. L’action culturelle est très encadrée. En plus du conseil d’administration, il y a une commission qui siège, qui est élue par les membres pour étudier les dossiers et faire des propositions au conseil d’administration. Aujourd’hui, on a plus de 130 manifestations qui sont aidées et on doit recevoir 150 ou 160 dossiers par an. Au-delà de ça, quand on peut le faire, on intervient pour apporter la bonne parole, pour convaincre.
La gestion collective, c’est la base. L’action culturelle, c’est aussi la base. Puis il y a aussi tout ce qu’on rend comme service. On a une permanence juridique. On est la seule société d’auteurs dans les arts visuels à apporter un secours juridique aux photographes. Les autres sociétés le font, mais pour le compte des auteurs sur lesquels elles ont la totalité des droits. C’est un service important. Le deuxième, c’est la banque d’images qu’on a créée à la demande des photographes. La Saif Images, où aujourd’hui, il y a à peu près 500 000 images qui sont déposées. Ça permet à un certain nombre de photographes qui n’ont pas la possibilité d’aller dans des agences, de déposer leurs images à la Saif Images et d’avoir des publications dans la presse, dans l’édition, dans des conditions très avantageuses. On assure la gestion à un taux de 15% des sommes récoltées. Ce qui est dérisoire par rapport à des grosses structures.
On a parlé des droits collectifs, mais il y a aussi les droits individuels.
Les droits individuels sont gérés directement par les photographes. La Saif a une mission de conseil. J’ai rendez-vous, tout à l’heure, avec un photographe qui vient me voir pour des conseils. J’ai encore une quinzaine d’appels par semaine, de rendez-vous, de personnes qui veulent avoir des renseignements. Est-ce que ce sont des gens de l’UPP ou de la Saif ? C’est compliqué de le dire. Aujourd’hui, j’ai des responsabilités à la Saif, donc j’ai abandonné l’UPP parce que je ne peux pas cumuler. Ce n’est pas sain.
Après, l’autre partie importante du travail que l’on mène, qui est plus souterrain, c’est la défense de la profession. On intervient beaucoup auprès de l’administration, en collaboration soit avec l’UPP, soit avec les syndicats de journalistes. En ce moment, on est en train de remonter ce qu’on appelle la coordination photojournaliste, qu’on avait activée au moment du code Brun-Buisson. C’est très technique comme terme, mais en gros, pour pallier les problèmes de la presse, une commission avait été créée suite à un rapport de Pierre Lescure, pour améliorer les conditions de travail des photojournalistes. Le baromètre, c’est un peu la carte de presse. Quand Lescure fait son rapport, il y a 1 200 photographes qui ont une carte de photojournaliste. Puis quand on crée la commission Brun-Buisson, on est déjà passé à moins de 900 ou quelque chose comme ça, depuis la chute continue.
Cette commission a vu le jour pour arrêter l’érosion dans la presse et aujourd’hui, on est à moins de 300 cartes de presse. Ils ont créé un code de bonnes pratiques que toute la profession des auteurs n’a pas signé. C’est uniquement les syndicats de la presse patronale, les éditeurs. Maintenant, on repart à zéro, donc on relance ça. Ça, c’est une partie des activités de la Saif, plus aussi la question du fameux droit voisin pour la presse où là aussi, il faut savoir que les patrons de presse en France, sont très rigides et plutôt réactionnaires. Ça l’est singulièrement aujourd’hui avec la concentration des gros capitalistes que l’on connaît, mais ça l’a toujours été. Ça l’a toujours été, et leur règle, c’est de payer le moins possible et de taper le plus possible sur les petits.
Par exemple, quand on a créé la copie privée pour la reprographie, dès le départ, l’idée est la parité avec une gestion collective pour les auteurs. Les patrons de presse ont dit : « Non, on prend tout et on redistribuera à nos auteurs. » Évidemment, on n’a pas été d’accord. On a mis dix ans pour récupérer la copie privée de la presse, parce que les sommes étaient bloquées par les patrons.
En matière de droits d’auteur, il y a une règle en France qui est plutôt sympa, c’est que, s’il y a un désaccord, c’est bloqué. Quand on négocie avec les autres sociétés d’auteur sur les partages et que l’on ne trouve pas d’accord les sommes sont bloquées et la discussion doit continuer. Le plus fort ne doit pas imposer ces choix. Cependant, au bout d’un moment, on trouve un compromis et on avance dans l’intérêts des auteurs des sociétés.
Ces combats réguliers font partie du travail d’un militant. On peut prendre comme exemple l’évolution de l’épisode de la délégation à la photographie. Quand la délégation a été créée, c’était quand même une vieille revendication de notre profession. Il y avait des gens au ministère, Gouvion-Saint-Cyr qui était un peu la mère prêtresse, mais il fallait être dans ses bonnes grâces pour avoir des choses. On crée la délégation de la photo et contre toute évidence, c’est Marion Hislen qui est nommée et qui est issue du sérail de la culture, de la photographie, mais pas de l’administration. C’est quelqu’un qui débarque avec sa naïveté, etc. Je pense qu’elle a beaucoup aidé. Elle a fait un travail extraordinaire, notamment sur le droit de représentation et sur la place des femmes. Avant qu’elle ne s’arrête, on est alerté qu’il va y avoir des modifications au sein du ministère. La photographie est rétrogradée au rang de bureau à l’intérieur de la délégation de l’audiovisuel. On descend presque de deux crans. À mon initiative, on écrit une lettre avec le directeur de la Saif. On l’a fait signer par une trentaine d’organisations. Quand la DGCA l’a reçu, ça a été le déclic. On est convoqué avec les filles de la photo, qui ont joué un grand rôle là-dedans, et on arrive à négocier pour que ça devienne un département. Surtout que sa place au conseil de direction soit maintenue, ce qui n’était pas le cas au début. Le conseil de direction, c’est un peu comme le conseil des ministres. Ça, on l’a sauvé.
Au ministère et de manière globale dans la photo, on parle d’écosystème de la photographie. Souvent, on se retrouve autour d’une table où sur les 15 ou 20 personnes présentes, il n’y a que deux photographes : un de l’UPP et moi de la Saif. Tout le reste, c’est l’écosystème. On a l’impression que l’écosystème est plus important que les photographes eux-mêmes.
Par exemple, le Parlement de la photographie, c’est très bien, mais lors de la dernière édition, sur deux jours il y a eu trois photographes invités. Trois plus cinq photographes qui ont exposé leurs travaux sur l’Ukraine. Le reste des ateliers qui ont été faits, il n’y avait pas de photographes. Je ne trouve pas ça normal. Comme on ne trouve pas normal aujourd’hui que dans un débat, il n’y ait que des mecs qui parlent. C’est vrai qu’il y a dix ans, ça ne nous aurait posé aucun problème de mettre que des mecs autour d’une table, surtout dans le photojournalisme. C’était quand même extrêmement masculin. Aujourd’hui, à Visa pour l’image, tous les ans, on fait un débat. Le débat est à parité. On s’aperçoit que finalement, c’est nous qui avions tort.
Pour conclure il faut vraiment que les photographes se réveillent et comprennent l’importance de devenir membre de la Saif et de l’UPP pour la défense de cette profession. Ma génération de militants vieillit et la photographie a besoin de renouvellement si on veut un avenir serein pour ce métier.