L’Inventaire Paysages sensibles d’un territoire non identifié
Rassembler et valoriser les enquêtes photographiques menées sur le territoire métropolitain depuis les années 1980, telles sont les ambitions de ce projet que ses initiateurs, Camille Fallet, Alexandre Field et Geoffroy Mathieu, ont pensé comme un outil d’étude, ouvert et collaboratif.
Propos recueillis par Christophe Asso – Photos : Marielle Agboton
Quand et de quel constat est né ce projet ?
CF : En 2014 Béatrice Béha, directrice de l’artothèque de Miramas m’a proposé le commissariat d’une exposition du fonds de la commande photographique de Fos-sur-Mer récemment entré dans les collections de l’artothèque. Ce fonds fut engagé par Fos Action Culture au milieu des années 90, il consiste en l’achat d’une œuvre de Lewis Baltz réalisée pour la mission photographique de la DATAR en 1986 et de la commande de travaux inédits à trois photographes : John Davies, Jean-Louis Garnell et Gabriele Basilico. À cette période avec Alexandre Field nous intervenions à l’École d’architecture de Marseille dans le cadre du projet d’Atlas Métropolitain. Il s’agissait d’un atelier de cartographie et de photographie qui, au travers du maniement d’outils esthétiques, cherchait à questionner les enjeux du « territoire métropolitain ». Suite à nos discussions nous en étions venus à proposer d’exposer des travaux contemporains d’enquête sur le territoire des Bouches-du-Rhône, en écho aux travaux historiques de Fos. Plus tard, la commande photographique des « Monuments de Provence » qui a été mise en vente chez Leclere nous a conduits à nous interroger sur l’accessibilité à ces fonds des commandes photographiques, qui une fois l’action politique passée, semblent le plus souvent tomber dans l’oubli. A la suite de l’exposition et aux questions qu’elle a suscitées nous avons commencé à lister les travaux d’auteurs s’intéressant à notre territoire dans l’idée de trouver les moyens de les faire exister côte à côte. Ainsi l’Inventaire s’est construit autour des travaux photographiques qui sont nés des commandes institutionnelles tout autant que des initiatives individuelles.
Le périmètre géographique métropolitain est-il un choix politique ?
AF : Oui, dans un sens. L’idée d’investiguer ce territoire c’est rappeler que l’aire métropolitaine est encore aujourd’hui floue dans ses contours. C’est également questionner le fait métropolitain. En 2011 c’est un vaste territoire culturel qui avait fait candidature pour devenir capitale européenne en 2013. Aujourd’hui on en connaît toujours mal les contours. La métropole s’alignera-t-elle enfin sur le département* ? Toutes ses communes n’en font pas partie et certaines hors du département y sont inscrites. Ici ce n’est pas ce territoire de la gouvernance qu’il nous intéresse de questionner, mais plutôt le territoire des communes, cette aire géographique métropolitaine des Bouches-du-Rhône, les terrains de cet “hyper-village provençal” pour reprendre les mots de l’artiste marcheur Nicolas Mémain. C’est pour cela que nous définissons en sous-titre ce projet d’Inventaire par “ photographies des terres balayées par le Mistral ”. Au fond, ce qui rassemble ces territoires aussi variés dans leurs paysages et leurs morphologies c’est qu’ils sont tous balayés par un même vent. Qu’est ce qui donne sa force à cette revendication unificatrice ? C’est un projet artistique et culturel en ce qu’il procède d’une lecture sensible des paysages. C’est un projet politique en ce qu’il permet de questionner la complicité de ces différents espaces.
Avez-vous pu estimer sur l’ensemble des commandes institutionnelles, la proportion de celles qui ont été valorisées sous la forme d’expositions, d’ouvrages, etc… ?
AF : Nous n’avons pas encore fait cette étude des œuvres inscrites à l’Inventaire. Certainement que ce répertoire d’œuvres est lui-même un objet d’étude. Il faudrait l’observer sous tous ses angles pour comprendre ce que cela nous dit de notre capacité à représenter des paysages, mener des enquêtes photographiques, passer des commandes à des auteurs puis à diffuser et conserver les travaux. Il y aurait un travail critique à faire sur toute cette matière qui est ici rassemblée mais nous ne nous sommes pas engagés là-dedans. Nous espérons que les documents fournis par les photographes, et qui seront bientôt annexés à la présentation des séries, permettront de renseigner encore plus leurs travaux.
GM : Nous souhaitons que les auteurs nous communiquent, autant que possible, des éléments de contexte de production, contrats, interviews, texte d’introduction, texte de commentaire, articles, vues d’exposition, édition, etc. Parce que l’un des intérêts de l’Inventaire c’est de fouiller le rapport entre les institutions et la production d’images. Pour le moment, le site permet déjà de choisir de regarder les séries côte à côte, en filtrant les images en fonction des commanditaires, de leur auteur, de la date de réalisation et du terrain d’enquête, ici les communes.
CF : Nous souhaitions développer un outil dont pourraient s’emparer les chercheurs, les commissaires d’exposition, les théoriciens de la photographie tout comme des spectateurs ordinaires.
GM : Les collections que nous commandons à des personnalités font partie de ce travail de recherche que l’on souhaite pour développer ce corpus d’œuvres. Parce que nous ne sommes pas seulement des diffuseurs, nous nous considérons plus comme des entremetteurs, des animateurs de cette ressource artistique et documentaire, des stimulateurs de nouveaux usages, …
À ce propos pouvez-vous expliquer le principe des collections ?
CF : L’envie originelle était plutôt de faire une série d’expositions. Au vu du grand nombre de photographes, on s’est dit que cela risquerait de s’avérer compliqué ! Et puis en tant qu’auteurs, au même titre que les autres photographes présents sur le site, il était délicat pour nous de devoir faire des choix ! On a préféré les laisser à d’autres. Ainsi les collections sont des enquêtes sur ces enquêtes !
GM : Ce sont des invitations à des personnalités qui peuvent être de champs très variés, aussi bien de la recherche que de la création, comme un auteur, un urbaniste ou un anthropologue. Nous choisissons les collectionneurs en fonction de l’intérêt que nous supposons qu’ils ont pour le paysage et l’image photographique. On leur propose de parcourir le site, de découvrir les séries et de produire une sélection, une « collection » et un texte qui la présente. Ce sont autant de voyages à l’intérieur des séries avec le point de vue et la subjectivité d’une personnalité qui propose son regard sur le territoire avec sa sensibilité et son savoir.
AF : C’est un point de vue sur le territoire, une manière d’animer deux types de parcours dans ce corpus d’œuvres et à travers le territoire: l’un offert par les photographes au travers des séries et l’autre par les commissaires au travers des collections.
Pourquoi avoir démarré l’inventaire dans les années 80 ?
CF : C’est en partie en référence à l’œuvre de Lewis Baltz Fos secteur 80 et d’une manière plus large à la mission photographique de la DATAR. Cette mission a renouvelé la question du paysage et a eu un impact incroyable dans l’histoire de la photographie en favorisant l’émergence d’un genre. Cependant l’œuvre la plus ancienne de l’Inventaire est celle de Fabrice Ney, « Fos-sur-Mer : regard sur un quotidien localisé » qui était la partie visuelle de son mémoire de DEA à l’EHESS en 1979. C’est un travail démarré en 1977, contemporain des New Topographics aux USA et que nous avions montré à l’artothèque de Miramas.
Quelle a été votre méthode de recherche pour retrouver tous les travaux photographiques ? Avez-vous sollicité les institutions pour ce faire ?
AF : Nous n’avons pas contacté les institutions pour trouver les commandes. Car ce qui avait été un frein pour les institutions dans la diffusion de ces travaux de commandes pouvait toujours l’être. Le moyen d’y échapper c’était de passer directement par les auteurs.
GM : On s’adresse toujours aux photographes. Même s’ils ont livré le fruit de leur travail à un commanditaire, ils sont toujours propriétaires des droits sur leurs images. C’est plus intéressant que ça vienne d’eux et qu’ils nous livrent tout le contexte plutôt que d’aller voir chacune des institutions.
Comment ce projet a-t-il été accueilli par les collectivités locales, principaux commanditaires des enquêtes photographiques ? Bénéficiez-vous d’aides financières de leur part ?
AF : Le premier financeur du projet c’est la SAIF, une société d’auteurs. C’est intéressant de le relever. Le Mucem s’est saisi de l’Inventaire pour faire des diaporamas qu’ils utilisent dans leurs collections permanentes et cela a aidé au développement du projet. Nous sommes directement aidés par la Région PACA à travers son programme de Carte Blanche et dans le cadre du programme des Parallèles du Sud de la biennale Manifesta 13. Enfin l’aide à la numérisation et à la diffusion de la DRAC PACA est la principale source de financement du projet. Nous sommes indirectement aidés par le Conseil Départemental à travers son soutien aux actions du Bureau des guides du GR2013 et par la Métropole Aix-Marseille Provence dans l’accompagnement à la mise en œuvre de leur projet de “Plan de paysage« . Ce qui rend possible nos actions doit aussi nous permettre de conserver une forme d’indépendance dans nos travaux.
Quels projets allez-vous mettre en œuvre pour diffuser l’Inventaire ?
AF : On est en train de travailler avec Fannie Escoulen** sur un format original de diffusion des collections, qui serait plutôt celui d’une installation sur la scène des théâtres. Comment proposer un parcours de ces paysages au travers de projections d’œuvres et de lectures d’auteurs sur la scène d’un théâtre ? C’est ce que nous voulions faire au Théâtre des Bernardines pour Manifesta 13, mais qui n’a pas pu se faire pour les raisons sanitaires que l’on connaît. Puis l’un des prochains développements du projet sera de faire circuler l’Inventaire sur le GR2013 et d’y organiser des Rencontres photographiques avec les paysages : une programmation itinérante accueillie par les communes et qui proposera des marches et des projections de plein air, des ateliers dans les paysages avec les photographes pour mieux comprendre leurs travaux et leurs terrains d’enquête.
* Voir à ce sujet la récente publication de l’institut Montaigne à ce sujet (Novembre 2020)
** Commissaire d’exposition indépendante