André Mérian, la photographie discursive
Comment êtes-vous devenu photographe ?
Âgé de 10 ans, mon père m’a emmené visiter une exposition de photographies en Bretagne. C’était une exposition collective, je me souviens plus des photographes exposés, mais cela m’a marqué. Ensuite quelques années plus tard, j’ai découvert la vitrine du photographe Michel Thersiquel à Pont-Aven, c’étaient des grands portraits en noir et blanc réalisés à la chambre photographique, et là j’ai ressenti une grande émotion, j’avais 17 ans. Ensuite j’ai continué mon cursus scolaire, des études commerciales, et je me suis aperçu qu’une vie derrière un bureau ce n’était pas pour moi. Tout d’abord j’ai fait un grand périple en Amérique du Nord, pour faire la route, je connaissais à cette époque Walker Evans et Robert Frank. Quelques années plus tard je me suis retrouvé photographe à Pont Aven où j’avais eu ma première grande émotion par rapport au médium photographique, et ensuite je suis arrivé à Marseille pour des raisons personnelles. L’art photographique est pour moi une façon de vivre, de penser et d’interroger le monde.
Vous avez longtemps travaillé sur le péri-urbain en France et dans le monde. Peut-on dire que cela représente une première période dans l’ensemble de votre production ?
Au début des années 2000, un architecte de renom : François Deslaugiers, aujourd’hui décédé, m’invite un dimanche après-midi à venir avec lui à Plan-de-campagne, zone commerciale près de Marseille, pour y acheter des plantes vertes pour mettre dans son atelier. J’ai découvert ce lieu (ou non lieu) grâce à lui. En conduisant, il me disait « imagines que tous les entrepôts, les commerces, les cinémas….seraient tous des monochromes de la même couleur, ou de couleurs différentes » ! Quelques jours plus tard, je commençais des repérages à Plan-de-Campagne. C’est à partir de là que j’ai réalisé la série The Statement et ensuite viendront Syrie et Land… En laissant ces mondes à distances, avec un regard et une approche minimaliste, je contourne l’impératif documentaire pour susciter l’interrogation. Seront-ils les nouvelles ruines du 21e siècle ? J’ai travaillé sur le péri-urbain de 2002 à 2013, c’est très important pour moi, et c’est long ! Mais cela ne représente pas une première période, j’ai beaucoup travaillé avant en noir et blanc, notamment sur le portrait, des commandes publiques sur le paysage à Marseille, et également en Corse, et j’ai commencé à travailler en couleur sur la commande de la réhabilitation de la Friche la Belle de Mai à Marseille avec l’association SITe (Sud Image Territoire)…
En 2016 votre travail prend une nouvelle orientation avec la série NEVERMIND. Pourquoi ce virage ?
Je considère que la photographie d’un point de vue personnel ce sont des expériences, je pense qu’il est très important de se remettre en question, je n’ai pas envie de faire toujours les mêmes choses, j’aime prendre des risques. La problématique de NEVERMIND, c’était l’articulation des images entre elles, c’est là que tout se jouait, ainsi que le geste artistique, avant c’étaient des séries plus en rapport au tableau, et dans NEVERMIND la question de la forme est différente, discursive et minimaliste, qui privilégie le dépouillement formel et le réductionnisme et la neutralité, comme la maxime de Mies Van der Rohe, « less is more », et qui nous interroge sur l’effondrement du monde sans en montrer la ruine.
Vous avez récemment publié votre dernière série Occasions, avec une jeune maison d’édition, La fabrique du signe. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce travail ?
C’est une nouvelle expérience, ce corpus de photographies représente des objets du quotidien, collectés dans des containers à poubelle, près de mon domicile à Marseille, où ailleurs. L’art étant celui de subtilité de chaque instant du quotidien et de ses formes. Pendant une période de plusieurs mois (2016-2017) j’ai effectué le geste répétitif de récupérer des objets qui paraissent dérisoires, ordinaires, banals… Ces objets sont en lien avec la vie de tous les jours : ils sont utilisés, consommés et rejetés.. Je les photographiai avec une approche typologique, les jouets, l’ameublement, le sport, la nourriture.. et ensuite j’ai cassé cette proposition, en confrontant les objets des différentes séries entre eux, pour créer une forme d’énigme, en lien avec la sculpture.
Vos projets ?
Actuellement je termine un ensemble d’images qui interroge le territoire de mon quotidien, dont le titre provisoire est Doutes. Ce sont des images plus intimes, qui sont également discursives, qui seront présentées en forme de séquences, et dont l’articulation de ces séquences seront le fondement de ce travail.
Propos recueillis par Christophe Asso