Alfons Alt Le don du visible
La galerie Fermé le lundi propose avec l’exposition Massilia, Warum Nicht ? de découvrir la vision de Marseille du photographe d’origine allemande, installé depuis 30 ans dans la cité phocéenne. L’occasion de revenir sur l’œuvre d’un auteur prolifique, à la croisée de la photographie et de la peinture devenue au fil du temps sa marque de fabrique.
Propos recueillis par Christophe Asso
Quel est votre parcours ? Comment êtes-vous devenu photographe ?
J’ai toujours beaucoup aimé la photographie et elle a été le sujet de mon mémoire pour le baccalauréat. J’ai eu un 15 sur 15 et c’est ce qui m’a permis de l’obtenir ! Quand j’avais 17 ans j’ai commencé par étudier la lumière en Provence, j’ai alors découvert la France, la photographie et l’homme que j’étais en train de devenir. C’était le réveil total ! Pour moi la photographie est une discipline gnostique, elle est liée à toutes les connaissances que j’ai pu acquérir et c’est la discipline avec laquelle je progresse dans toutes mes interrogations, par rapport à la société, au monde, à la religion… à mes amours et ma sexualité aussi (rires) J’étais autodidacte et comme beaucoup de personnes de ma génération j’ai été marqué par la publicité, qui dans les années 60-70 explosait. J’avais après mon service militaire tenté de rentrer à l’École Nationale de la Photographie d’Arles lors de son ouverture mais je n’avais pas le niveau requis. Je parlais à peine français. J’ai alors commencé à chercher des contrats pour gagner ma vie avec la photographie. Au début j’ai beaucoup travaillé pour des artistes. J’utilisais des diapos Kodachrome puis je me suis intéressé au noir et blanc auquel je ne connaissais rien. J’ai appris les bases techniques chez les Sudre. À l’époque, c’était en 1988, je vivais à Roussillon dans le Luberon et j’allais tous les jours chez eux à Lacoste à vélo. Ma femme était pharmacienne, j’avais donc une certaine facilité pour obtenir des produits chimiques de façon peu onéreuse ; je me suis mis à fabriquer moi-même mes produits. J’aimais beaucoup cette idée d’être autonome sur le matériel. Puis j’ai travaillé pour des agences de communication comme RSCG ou DDB/Needham même TBWA. Ça me plaisait bien de rentrer dans le désir de « l’autre » et de le marier au mien.
À quel moment avez-vous démarré un travail d’auteur ?
Ma compagne qui suivit écrivait sur mon travail et un jour elle a écrit quelque chose qui m’a beaucoup marqué : « Alfons Alt a le don du visible ». Dans mes travaux il y a toujours le sujet au centre de l’image. Ça a été un déclencheur. J’ai décidé d’arrêter de travailler dans la communication. Ça a été une année de transition très difficile. Je me suis formé à la couleur et aux pigments chez Jordi Guillaumet en Espagne. J’ai dans mon atelier ma première gomme bichromatée qui est un acte fondateur. Elle fait partie de ma collection, elle n’est pas très belle mais je ne la vendrai jamais ! (rires) Puis je me suis installé dans une ferme dans le Vaucluse à Petit-Palais près de l’Isle sur la Sorgue. C’est là que j’ai commencé à faire mes recherches avec des pigments. Ça a donné lieu à une première exposition de gommes bichromatées et de cyanotypes à la Galerie Réattu pendant les Rencontres d’Arles de 1992.
Vous avez développé un procédé unique « l’altotype ». Pouvez-vous nous l’expliquer ?
J’ai appris le procédé du résino-pigmentype, comme la Bibliothèque Nationale le nomme, et j’ai simplifié ce procédé, et appelé « altotype » en référence à mon nom. Je me suis tellement approprié cette technique pour dire beaucoup de choses que ça devient plus qu’une technique, c’est ma marque de fabrique. J’aime beaucoup dire qu’il y a dedans 30% de photographie, 30% de peinture, 30% de gravure et au moins 90% de bénédiction divine. La part divine on pourrait dire que c’est le hasard ou les choses que je ne maîtrise pas. Je suis toujours surpris par l’interaction des pigments, des surprises et c’est ça qui me plaît, car je cherche à faire des pièces uniques Il y a une esthétique inhérente à ce procédé et c’est de cela que je veux parler. C’est une manière de « détruire » la photographie, car la couleur et le pigment prennent parfois le dessus sur le signal photographique. Une forme de résistance à la photographie dictée par l’industrie. J’ai été longtemps militant anti-numérique et j’ai compris que c’était un faux combat,car le numérique ce n’est guère plus qu’une gomme ou un pinceau, c’est juste un outil. Depuis ce jour-là je me suis réconcilié avec le numérique et je l’utilise même, pour que les images deviennent miennes. (rires)
Vos images ont un caractère intemporel. Est-ce volontaire ?
Non ce n’est pas volontaire mais ça m’arrange bien. De par mon nom j’étais vieux dès ma naissance. Alt en allemand veut dire vieux. Cela correspond à un choix artistique car je n’ai pas envie d’appartenir à une époque, bien que né à la fin du Vingtième siècle. J’ai toujours aimé l’Histoire. Nous sommes ce que les générations d’avant ont construit, pensé et fait. C’est le socle sur lequel nous vivons, il ne faut pas l’oublier. C’est très important pour moi, je ne sors pas de nulle part. Je suis l’héritier de beaucoup de choses et je le cultive. Je me sens l’héritier de photographes comme Edward Steichen ou Man Ray. La psychanalyse est très importante pour moi et j’ai passé beaucoup de temps à tout disséquer. Le Pourquoi de tout ça et qu’est-ce qu’il fait sens pour moi. D’ailleurs toutes mes images sont stockées dans des boîtes et j’ai plus de 40 000 négatifs et diapos. En 1991 j’ai acheté ma première chambre grâce à l’argent de la vente d’un terrain qui appartenait à ma famille et qu’on était obligé de vendre pour en faire une zone de protection d’oiseaux. Ça correspondait pour moi à un véritable engagement dans la prise de vue. Choisir un point de vue, poser son trépied ce n’est pas anodin.
Architecture, animaux, végétaux. Comment s’effectue le choix de vos sujets ?
Je suis un taxinomiste ! J’ai un projet artistique global et je m’intéresse à la nature. J’ai été très influencé par la pensée anthroposophique de Rudolf Steiner et la Free International University de Joseph Beuys & Heinrich Böll en 1974. C’était les débuts du Parti des Verts en Allemagne et je m’intéressais aux animaux en voie de disparition. Pour moi il y avait urgence à photographier ces animaux et à faire leur portrait. J’étais influencé par les lectures d’Hildegard von Bingen et Humboldt. Et à la question de savoir ce qu’il m’intéresse de plus à photographier, je me suis répondu que voir des poils et des écailles m’excitait beaucoup. D’où l’idée de créer un bestiaire. C’était également lié à la connaissance des plantes et à une approche holistique de la médecine. C’est comme ça que je vois le monde, tout est lié. C’est pour ça que je produis beaucoup car je m’intéresse à plein de choses ! Je me suis aussi beaucoup intéressé à la science des nuages. Au 18e siècle les intellectuels s’amusaient à décrire les nuages pour faire une démonstration de leur éloquence. Aujourd’hui mon travail est très « tachiste », et je me sens proche d’un Alexandre Cozens un peintre russo-britannique du 18e siècle. J’ai réalisé toute une série sur les nuages, en Allemagne, en Bavière d’où je viens, où le climat est plus propice qu’à Marseille (rires) ! J’ai d’ailleurs une exposition en cours à Memmingen en Allemagne sur les lieux qui ont construit l’histoire allemande, dont certains sont même en Italie ou en France.
Le poulpe est un motif récurrent dans votre travail. Quelle est sa signification ?
À Marseille on n’échappe pas au poulpe et il est d’ailleurs très souvent dans mon assiette ! (rires) J’ai donc développé une certaine affection pour les poulpes. Et puis à Marseille le poulpe a plusieurs significations, c’est la mafia, le lien entre les gens et avec ses 8 tentacules c’est un animal magique ! Le 8 c’est l’infini. Notre culture est omniprésente dans mes sujets J’aime que converge dans mes productions la culture dont je suis empreint.
Pourquoi vous êtes-vous installé à Marseille ?
Par amour ! J’ai suivi une femme qui a eu une proposition de travail ici. J’ai toujours tourné autour de Marseille, j’étais à Roussillon, à Arles, à l’Isle sur la Sorgue mais Marseille me faisait peur ! En Allemagne elle a mauvaise presse, plein de préjugés circulent. Par contre j’ai toujours travaillé avec Marseille. Mon premier laboratoire Nat’Color était situé boulevard National et était dirigé par Alain Majerus. Je me souviens que quand j’habitais Roussillon dans le Luberon, j’allais déposer mes pellicules au bus pour Marseille qui passait par Bonnieux à 7h du matin et Nat’Color venait les récupérer à la gare Saint Charles dès son arrivée pour me les renvoyer le jour même dans le bus de retour ! J’aimais le calme de la vie à la campagne mais j’allais trouver le travail dans les villes comme Avignon, Nice, Toulon et Nîmes où il y avait beaucoup d’agences de communication. Et aujourd’hui bien que je me sente vraiment marseillais je suis toujours un petit peu l’étranger quand même, on entend à mon accent qu’il y a quand même un truc qui cloche ! (rires)
En conclusion, parlons de l’exposition « Massilia, Warum Nicht ? » à Fermé le lundi avec Olivier Monge le commissaire de l’exposition. Olivier, comment est née le projet d’exposition ?
Je connais le travail d’Alfons depuis très longtemps. Quand je faisais mes études à l’École Louis Lumière et durant la première partie de ma carrière où j’étais assistant d’enseignement au laboratoire de techniques anciennes et alternatives avec Jean-Paul Gandolfo, les images d’Alfons faisaient partie des travaux que j’étudiais et que j’aimais. Pour moi c’est un artiste important avec un univers qui lui est propre. Il a, comme les vins, une grande longueur en bouche, dans le sens où il développe sa démarche sur le long terme. Il fait partie de ces rares artistes qui ont des procédés propriétaires, même s’il s’est imprégné d’un procédé existant qu’il a corrigé. Depuis que j’ai créé Fermé le lundi j’avais donc cette envie d’organiser une exposition de son travail. Nous avons un ami en commun, Philippe Cas, qui a un laboratoire où Alfons tire ses contretypes et où j’ai pu régulièrement suivre son travail. En discutant avec Alfons j’ai fait le constat qu’il n’avait jamais eu de commande ou d’exposition importante à Marseille et en même temps je voulais que l’on fasse émerger de l’ensemble de son oeuvre ce qui pourrait être sa vision de Marseille. Il y a également dans l’exposition des images produites spécifiquement afin de compléter le corpus, comme celles de la procession de la Vierge, et une vue du Château d’If prise à la chambre 20×25 depuis un pointu en pleine mer ! Il y a aussi au début de l’exposition une vague en hommage à Gustave Le Gray et à l’histoire de la photographie à laquelle Alfons et moi sommes particulièrement sensibles.