Stéphane Guglielmet Photographier la vie
Plasticien, photographe, Stéphane Guglielmet diffuse la création contemporaine depuis plus de 20 ans dans sa ville natale, Marseille, à laquelle il est profondément attaché, et jusque dans les lieux les plus reculés de la région. Entretien avec un artiste généreux et passionné pour lequel voyage et partage sont indissociables.
Propos recueillis par Christophe Asso
J’aimerais pour commencer que vous m’expliquiez votre parcours, d’où vous vient votre intérêt pour la création.
Enfant, mes parents m’avaient inscrit dans une annexe de l’École des Beaux-Arts, rue Montolieu, une parallèle à la rue de la Joliette, à des cours jeunes publics. Au fil des années, à l’adolescence les professeurs de l’école m’ont dirigé sur une autre annexe, Boulevard Barbier dans une ancienne école élémentaire. À l’époque, c’était une grosse annexe avec des cours jeunes publics et des cours du soir où j’allais. À 19 ans, les deux professeurs de l’annexe, qui étaient détachés de l’école, m’ont proposé de passer le concours d’entrée aux Beaux-Arts de Marseille.
Pour quelle discipline aviez-vous un intérêt à cette époque-là ?
Je faisais un peu de photographie, comme ça, des souvenirs de voyages, mais je n’avais pas du tout une pensée, une réflexion photo. Par contre, je dessinais beaucoup, je peignais beaucoup, je fabriquais des petites installations. Pour moi c’était ça l’art à cette époque-là. C’était beaucoup les arts plastiques. À l’annexe, on pouvait accéder à des matériaux comme la terre, l’argile, le plâtre et les professeurs faisaient avancer notre pensée. Ils nous poussaient à aller voir les expositions dans tout type de galeries, dans les musées municipaux. Il y avait une dynamique dans les musées et de très bonnes expositions, que ce soit au Musée Cantini ou à la Vieille Charité. Puis d’un autre côté, il n’y avait pas autant de galeries que maintenant. C’étaient surtout des galeries bourgeoises historiques avec les peintres de l’époque et pas du tout un réseau de galeries associatives comme maintenant.
Ça a été très formateur.
Oui, ces deux professeurs nous ont ouvert des portes. En juin 1989, j’ai passé le concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts de Marseille. Le jury était composé de Michèle Sylvander et Gérard Traquandi. L’entretien s’est rapidement passé et quand Gérard m’a dit : “À l’année prochaine !” J’étais très heureux. C’est devenu ma raison d’être.
Mes années à l’école des Beaux-Arts ont été aussi très formatrices. C’était une école tournée sur les arts plastiques, avec de la sérigraphie, de la gravure, de la peinture et du modelage. C’est là que le bouleversement s’est passé pour moi. La première année, je touchais à tout et j’ai pu accéder au laboratoire photographique. Mon professeur, André Forestier, m’a lui aussi ouvert sur ce que pouvait être la photographie. Très rapidement, il nous a mis dans l’action. Il fallait qu’on fasse un travail photo documentaire. Surtout, il nous a bien conseillés pour trouver des appareils d’occasion et il nous a aussi détendus sur le fait que si on n’avait pas de “vrai” appareil, on pouvait utiliser des jetables.
J’ai trouvé un appareil photo Kiev et j’ai eu l’idée d’aller solliciter à Gardanne le dernier puits de charbon de la région. J’ai eu un accueil positif du PDG de l’époque. Il m’a immédiatement dit que descendre dans le puits allait être impossible pour des questions de sécurité, et m’a donné une autorisation sur un temps long, pour pouvoir accéder au site. Je pouvais attendre l’arrivée des mineurs, les voir descendre, s’équiper au vestiaire. J’avais également accès à toute la partie technique, moteur, sécurité du puits. J’ai même pu les suivre là où ils se retrouvaient après le travail. C’était à la fois la fin du bassin minier de Provence, Gardanne, Gréasque, Fuveau, tout ce coin avec des puits fermés, et ce dernier puits qui était toujours en activité.
Pourquoi ce secteur en particulier ?
Je voulais voir des gens dans leur quotidien et pour moi, c’était aussi une façon de rendre compte d’une certaine catégorie de gens, des gens qui se lèvent tôt, qui font quelque chose de nécessaire. C’était le déclin du forage et du charbon en France. C’était la fin d’une époque. La chute du mur de Berlin venait d’avoir lieu. Pour moi, jeune garçon de 19 ans, c’était une époque, la fin des années 80, où soudainement, on sentait que le monde changeait.
Même à l’échelle locale.
C’était très intéressant. Ça a commencé de façon un peu fracassante parce que je suis allé attendre ce qu’ils appelaient une fournée : l’ascenseur qui remonte avec tous les mineurs qui ont travaillé une partie de la nuit. Ils ont été à la fois surpris et à la fois contents de voir qu’un jeune s’intéressait à leur travail. Ça a été bien. C’était drôle parce que mon professeur pensait que j’étais parti dans des mines à l’autre bout de la France.
Il n’imaginait pas que c’était à 25 kilomètres seulement.
Non. Il savait que ça existait mais il a été surpris. Néanmoins, c’était positif. Tout a commencé comme ça.
Aviez-vous une approche plutôt documentaire ?
On avait seulement eu deux ou trois cours avec lui. Il nous avait beaucoup parlé de technique, de la tenue de l’appareil, de faire corps avec lui et des perturbations esthétiques voulues dans la prise de vue. Par exemple, les fils électriques dans le cadre, c’est de lui. On ne faisait pas des photos de vacances, on faisait de l’art.
Aviez-vous déjà des références de travaux photographiques ?
J’étais surtout dans le dessin, la peinture. Ce qui m’intéressait avant tout, c’étaient les plasticiens et l’histoire de l’art. Des photos, j’en voyais, mais c’est lui qui a fait mon éducation photographique. Dans le laboratoire, il y avait des bouquins et c’est là que j’ai commencé à voir des travaux de photographes. Très vite, ce qui m’a intéressé, c’est tout le courant humaniste, la photographie américaine. Ça a été un choc, un bouleversement. Ça m’a permis d’aller voir ce qui se passait dehors, dans beaucoup d’endroits et de pousser des portes, de voyager.
Gwenola Gabellec a écrit un texte sur votre travail et parle de Walker Evans comme une influence majeure.
Walker Evans a traversé les États-Unis pendant la crise pour aller photographier les gens. Pour moi, ça pourrait être aujourd’hui, puisqu’il a témoigné des débuts du marché financier qui a commencé à accabler les gens. Les Américains se sont laissés prendre en photo et pour moi c’est un temps de l’humanité. Toute cette partie de son travail photographique, qui peut être considéré comme de la photographie documentaire, je trouve qu’au-delà du témoignage, c’est un travail fondateur.
Votre photographie est liée aussi à cette idée de déplacement, de voyage et de découverte de l’inattendu.
Après le projet sur Gardanne, j’ai eu envie d’aller photographier des gens dans Marseille, dans leurs boulots, des gestes simples du quotidien. J’ai pu voir des métiers qui étaient en déclin comme des charbonniers, des métiers simples. J’ai voulu photographier tout ce travail-là. À partir de là, ça a été aussi de commencer à partir avec un sac, marcher. C’était le point de départ. Ce qui m’intéresse vraiment dans la photo depuis ce temps-là, c’est d’aller voir les gens et de savoir qui ils sont, de les photographier dans une forme d’intimité, les intérieurs, les objets. C’est ce que j’ai beaucoup fait au début, mais surtout, ce que je disais tout à l’heure, le fait d’avoir fait l’école des Beaux-Arts et d’avoir rencontré un professeur de photo, ça m’a ouvert une porte qui a pris le dessus après sur la peinture.
Vous vous êtes senti beaucoup plus à l’aise avec l’outil photographique ?
J’aime beaucoup le cinéma depuis tout jeune. Pour moi, il y a eu un parallèle avec la photographie. Photographier la vie, ça a pris le dessus. Après, j’aime beaucoup la peinture, je fais toujours de la peinture ou du dessin, mais la photo a pris le dessus. Je me suis senti, comme tu dis, à l’aise avec cet outil. C’est un prolongement de moi.
Quelques années après votre sortie des Beaux-Arts vous créez l’association ART’ccessible. Vous passez d’un statut d’artiste à celui d’acteur culturel. Était-ce une réaction au manque de lieux de diffusion à Marseille ?
Au moment où je suis sorti de l’école, c’était le début des friches industrielles aux abattoirs Saint-Louis, avant celle de la Friche la Belle de Mai. Cela a été fondateur et important pour créer un lieu. À l’époque, on ne parlait pas du tout d’”artist-run space”. Dans les années 90, il y a eu un basculement. Des lieux ont commencé à se créer et il y a eu une prise en compte du fait que des artistes cherchaient à se regrouper.
Il y a eu un temps où la mairie était de gauche, donc il y avait un répondant. Après, il y a eu un basculement sur une mairie de droite où là, ils n’ont pas compris ce qui se passait, ou ils n’ont pas voulu voir.
J’ai créé cette association en 1998. Mon but était de vivre de ma passion. C’était un combat permanent. J’ai pu petit à petit, faire des choses. Au départ, c’était une volonté de partager la photo ou les arts plastiques en général. Là, j’ai fait beaucoup d’ateliers au début, notamment dans les quartiers populaires. Puis, j’ai pu très vite avoir un atelier parce que j’ai travaillé pendant quatre ans dans une association Le Hors-là dans le quartier du Canet. J’ai pu faire mes armes avec eux. Comme ils n’ont pas voulu continuer, j’ai créé une association pour poursuivre. À partir de là, il y a eu deux étapes. La première en 2000 où j’ai voulu trouver un lieu mobile pour aller à la rencontre des gens. Un peu plus tard, en 2005, j’ai eu la chance de trouver un espace à la Plaine et de démarrer Territoires partagés et d’inviter des artistes en leur donnant carte blanche. C’était un dialogue entre artistes. Tout a pris forme comme ça.
Le lieu mobile en 2000, c’était la Galerie Ambulante ?
Oui, c’était le début des lieux associatifs, mais il n’y avait pas beaucoup de possibilités d’exposer à Marseille. Avoir un lieu mobile, au départ, m’a permis d’inviter des amis plasticiens, de faire des événements et de monter des projets. Après, il y a eu l’idée de partir pendant une vingtaine de jours au bout de la région en embarquant une œuvre du Frac à l’époque. C’est le début du parcours et ça a été le fruit du bon hasard. Je suis parti comme ça, un peu la fleur au fusil. J’avais mon barda, des œuvres, mon duvet, je dormais dans le camion, mon appareil photo bien sûr. Ce sont de très bons souvenirs parce que ce qui était intéressant, en 2000, c’est qu’au bout de la région, en matière d’art, il n’y avait rien.
Il y avait de l’artisanat, que je connaissais bien dans cette vallée et dans ces coins reculés, mais en débarquant avec une vidéo d’art contemporain et une œuvre, c’est comme s’il fallait traduire une langue étrangère. J’avais l’impression que j’étais parti à l’autre bout du monde. Il n’y avait pas internet. C’étaient encore des vallées qui étaient loin de la mondialisation.
Le premier parcours, c’était dans le Queyras. J’ai voulu partir là-bas pour des questions personnelles, d’origine, par rapport à mes grands-parents paternel qui étaient Piémontais et au fait que j’ai passé mon enfance dans cette vallée. Je suis allé taper à la porte de toutes les écoles. À partir de là, il y a eu un parcours qui s’est organisé pendant plusieurs années dans cette vallée. À partir de 2005 j’ai franchi la frontière pour développer le projet avec le lycée français de Turin durant dix années, desquelles sont nées beaucoup de rencontres et d’amitiés.
C’était en partenariat avec le Frac Provence Alpes Côte d’Azur ?
L’aventure avec le Frac Paca a duré huit ans. Après, le projet s’est développé avec la Villa Arson et se développe maintenant de façon autonome. Je ne travaille plus avec les institutions, mais au début c’était important parce qu’il y avait la notion d’emprunter une œuvre d’une collection publique et de la montrer à de jeunes publics, à des familles, d’être sur des places de village. Toute cette partie-là a duré 23 ans et le parcours, d’année en année, s’est modifié sur d’autres terrains, d’autres endroits et avec d’autres publics. Par contre, la notion qui n’a pas bougé, c’est le travail sur le long terme.
Cette période-là m’a permis de développer mon travail photographique, avec la rencontre de beaucoup de lieux différents.
Vous profitiez de cette itinérance.
Pour moi ça faisait partie du voyage. L’appareil était toujours sur moi. C’était aussi aller voir des gens, les faire témoigner et les photographier. Parler avec des enfants et des adultes, ça me faisait aussi avancer dans mon travail.
Tout était lié.
Oui, mais pas confus. Aujourd’hui, par rapport à ce projet, je navigue un peu différemment. Maintenant j’ai davantage envie d’aller sur des terrains de la région. Je veux que ça reste un projet régional. J’ai plus envie d’aller dans d’autres coins de la région qui ne sont pas spécialement loin, mais plus isolés, parce qu’aujourd’hui l’art est arrivé jusque dans la vallée du Queyras et aux alentours. Il y a des centres d’art, des projets et des associations culturelles. C’est très bien. J’ai la sensation aussi que je veux aller ailleurs.
Comment se passent les prises de contact en amont ?
Je pars comme quand je pars pour faire mes photos. Je vais voir les gens, je tape aux portes, je discute et on se met d’accord. En amont, on les contacte. Là par exemple, pour l’année prochaine, j’ai déjà contacté la commune de Tarascon et le parc de Camargue. J’anticipe, et ça va, ils adhèrent. Ils aiment bien les gens, quand tu discutes avec eux. Ils hallucinent un peu de voir cette galerie roulante. Ils voient qu’il y a un projet d’éducation artistique. C’est différent et c’est très bien aussi comme ça. Il y a une mutation qui s’opère par rapport à ça.
Sur le projet de la Galerie Ambulante, il y a actuellement l’exposition Moscou 1994 de Franck Pourcel, exposé à l’automne à Territoires Partagés. Comme ce travail était vraiment fort, je voulais l’emmener sur la route pour que des publics le voient. Franck a tout de suite accepté ma proposition. Il y a une notion historique dans tout ce qu’il a fait parce que c’était quatre ans après la chute du mur de Berlin. C’est un travail photographique qui amène aussi à développer des ateliers photo, donc c’était parfait. C’était un peu exceptionnel de solliciter un artiste exposé à Territoires Partagés pour la Galerie Ambulante parce que sinon ce sont des artistes que je rencontre ou que je connais, auxquels je fais une proposition et après, eux-mêmes proposent un projet.
Il y a également eu Bernard Plossu.
Avec Bernard, ça a été une belle rencontre. J’ai cherché à le contacter en 2010 mais il n’était pas disponible. Il m’a recontacté en 2013, et ça a été un choc pour moi de le rencontrer, de voir comment il travaillait, le temps qu’il a pris pour me montrer toutes ces archives, puis de connaître aussi Françoise, son épouse. Au départ, ce qui a été très important, c’est le temps qu’ils ont pris pour me parler, pour me montrer des choses. Après, ce qui était formidable, ça a été de pouvoir les exposer. C’était très bien, parce qu’on a réfléchi à des projets libres, sans contrainte. Ça a été très fort de pouvoir montrer au public le travail de Bernard et de Françoise. La rencontre avec Bernard, c’est un vrai bouleversement, une vraie amitié et un regret de ne pas l’avoir connu plus jeune. En fait, j’ai un peu un regret général de ne pas avoir eu 20 ans dans les années 60.
Comme beaucoup de monde !
Aujourd’hui, il y a une accélération trop rapide pour moi de la vie en général. Il y a beaucoup de perturbations sur le fait de travailler tranquillement.
Le monde accélère.
Je trouve un peu trop. Il faut faire attention à ça. Néanmoins, connaître Bernard c’est bien parce que le temps se repose et c’est une rencontre pour moi, qui n’a pas de prix. Quand je t’en parle, c’est comme si c’était naturel d’aller le voir et de le connaître. Il y a des projets avec lui cette année : une première exposition sur le côté expérimental de son travail puis une deuxième avec Patrick Sainton sur l’atelier Cézanne, pour le prochain festival Photo Marseille à l’automne.
En parlant de la programmation de la galerie, comment la construisez-vous ?
La programmation, ce sont beaucoup de rencontres. Ce sont des gens qui me sollicitent ou que je vais voir, et un dialogue s’installe. On fait connaissance. Ce qui m’intéresse c’est de voir si le travail va pouvoir aussi apporter quelque chose aux gens. Est-ce qu’il y a un intérêt pour l’artiste et pour le public ? Souvent, c’est un projet qui est fait spécifiquement pour le lieu avec de la production. Il y a un peu toutes ces notions-là que je mets en place.
Comment fonctionnez-vous pour les visites du public à la galerie ? Y a-t-il des publics scolaires qui viennent ?
Ce sont des gens très variés qui viennent à la galerie. Il peut y avoir des gens passionnés par l’art, bien avertis et le tout un chacun. Comme je te le disais, et tu le vois bien pour le festival photo, il y a des publics qui viennent parce qu’ils aiment beaucoup la photo, ils sont amateurs et c’est très bien. Je réfléchis donc beaucoup à ça. Pour les publics scolaires, il y a tout un travail ici qui est engagé avec Emma Jacolot, qui travaille avec moi. Elle travaille avec le groupe scolaire de la Loubière, juste à côté, avec l’école Eydoux, l’école Baille. De temps en temps, il y a des étudiants d’écoles d’art, des groupes de patients des hôpitaux voisins. C’est très varié. Sur les temps de vacances, il y a des ateliers de pratiques artistiques qui sont proposés aux jeunes publics, sur l’année.
L’idée de la galerie, c’est d’avoir un lieu repéré par les gens du quartier. C’est un lieu de quartier, un peu comme quand il y avait des cinémas de quartier autrefois dans Marseille. Les gens se déplacent aussi s’ils ne sont pas du quartier. Néanmoins, je trouve que ce fonctionnement-là où tu as plusieurs galeries associatives dans plusieurs quartiers, c’est une démarche devenue alternative, mais sérieuse avec des horaires, des expositions de qualité, un accueil du service des publics, mais pas la contrainte et la lourdeur de l’institution.
C’est ça qui m’intéresse. Un peu comme la Galerie Ambulante, je peux prendre les clés du jour au lendemain, sans avoir cette contrainte-là.
Revenons-en à votre travail photo, où en êtes-vous ?
Le voyage d’une journée, c’est quelque chose que je développe toujours, qui s’est modifié avec le temps. Je continue parce qu’il y a toujours un côté exaltant. Il y a une excitation forte qui n’a pas bougé. La chance que j’ai c’est que, sur des temps réduits, je peux prendre mon sac, prendre un train, partir pour la journée et rentrer le soir. Rentrer dans une gare et voir les gens, les quais, les trains qui arrivent et qui partent, je trouve que c’est un des plus beaux transports. Ça me porte. Il y a tout un travail engagé sur l’Italie depuis 2000 où je rends chaque année. Beaucoup d’endroits de ce pays sont restés figés, immobiles. Le premier séjour s’est appelé Voyage vers le sud.
Cela est-il lié à vos origines ?
Oui. Je trouve que c’est un pays suspendu selon où tu vas et tu peux travailler tranquillement. On ne te casse pas les pieds avec la photo. Mes grands-parents maternels étaient pêcheurs. Quand ils sont arrivés du sud de l’Italie pour s’installer à Marseille, leur activité était la pêche. Mon grand-père est arrivé en premier avant la Seconde Guerre mondiale. Il a fait le matelot sur les chalutiers et après la guerre, ils se sont installés dans le quartier du Panier. Ma mère avait huit ans. Ils ont travaillé jusque dans les années 90. C’étaient des artisans. Ils sortaient la nuit, ils allaient pêcher, puis ils vendaient la pêche du jour. Ils faisaient ça en Italie déjà, mais ils sont partis pour des questions de famine, et de régime politique.
Vous avez un intérêt pour le milieu ouvrier, travailleur.
C’est un milieu qui me passionne. Quand je pars avec la Galerie Ambulante, très tôt le matin en général, je m’arrête pour boire un café sur la route. Je me gare à côté d’autres fourgons. Souvent, il y a des personnes qui me demandent ce que je fais, parce qu’ils voient l’inscription Galerie Ambulante sur le camion. Je bois le café avec des maçons, des charpentiers. C’est assez drôle d’avoir récupéré un véhicule utilitaire pour le transformer en galerie. Le monde ouvrier, oui, ça me passionne. Peut-être aussi parce que j’ai vu, jeune, beaucoup de métiers manuels.
Le monde d’avant finalement, celui qui n’a pas accéléré.
Tout à fait, même si la technologie se modifie, les gestes restent les mêmes. Une année j’avais travaillé à l’hôpital de la Timone au service d’oncologie. Je suis resté en résidence, à peu près trois mois. Ce rapport avec l’hôpital, je l’avais ressenti comme le monde ouvrier, comme si j’étais allé voir les mineurs. Ça avait été très fort, de rencontrer les différentes catégories du personnel, de faire le tour du cadran avec les différentes équipes. Au fur et à mesure que je faisais des photos, je me demandais comment ils allaient les percevoir. J’avais improvisé une exposition en collant mes photos sur un mur. Ils avaient beaucoup aimé. Tu rentres dans l’intimité des gens et avec la photo, tu leur rends.
Je vais démarrer un projet avec le chantier naval de Marseille. Ça va être un projet sur le long terme où je vais suivre les équipes. Quand j’étais jeune, on pouvait rentrer faire son footing sur la digue du large. Enfant, j’ai beaucoup été sur la jetée, côté large, pour pêcher et me baigner. Ça fait un peu plus de 2 kilomètres. C’est un endroit où je me sentais bien. Après, ils ont fermé. C’est vrai que c’est assez curieux qu’ils aient fermé. C’est un peu ce côté restriction avec les gens, où on met de la sécurité alors qu’il n’y avait pas d’histoire, parce que si jamais tu rentrais en voiture, il y avait la douane qui te demandait d’ouvrir le coffre. Ils regardaient et tu pouvais rentrer à pied, te balader. Le port faisait partie de la ville et vice versa.
Vous n’avez pas trop montré votre travail photo jusqu’à présent ?
À Marseille je ne l’ai pas trop montré. Je l’avais montré il y a quelques années à la Galerie du Tableau et à Territoires partagés il ya trois ans. Je l’ai beaucoup montré en Italie avec des foires alternatives et une galerie. C’est un peu voulu, parce que je trouve qu’en France, on met facilement des étiquettes aux gens.
Vous êtes plutôt identifié comme un diffuseur.
Je n’ai aucun problème avec ça, c’est juste que je trouve qu’il y a des raccourcis qui ne sont pas intéressants. Il y a eu toute une mouvance, il y a bientôt dix ans, de foires alternatives à Paris et à Turin où j’ai pu vraiment montrer mon travail, c’était très bien. Je ne suis pas en frustration par rapport à ça. Maintenant, je le montre assez souvent. Il n’y a pas de manque. J’aime bien la discrétion. Je ne suis pas du tout pratiquant mais j’ai eu une éducation protestante dans laquelle il y a du bon et du moins bon, parce qu’à des moments tu es un peu trop discret.
On en revient aux ouvriers, aux travailleurs de l’ombre.
Dernièrement, j’ai pu vendre des photos. Quand tu as une photo chez des gens, c’est un honneur. Ta photo vit chez eux. J’aime bien aussi que ce ne soit pas à un prix très élevé. C’est comme les fanzines que j’édite, aujourd’hui, la nouvelle technologie permet de faire des petits bouquins de qualité et pas chers. J’ai aussi envie de prendre un peu plus de temps pour voir les jeunes qui sortent des écoles d’art et de photos pour leur donner une possibilité de diffuser leur travail.