Marseille, zone à urbaniser en priorité, par Fabrice Ney, photographe-auteur
Au mitan des années 1960 sortent de terre, dans les quartiers Nord de Marseille, sous l’appellation Zup n°1, les cités du Grand Saint-Barthélemy. Entre 1981 et 1983, Fabrice Ney, qui avait déjà travaillé, dans le cadre de ses études à l’EHESS, sur Fos-sur-Mer et La Seyne-sur-Mer, décide de photographier avec une grande radicalité formelle ces nouveaux et déjà presque anciens habitats collectifs, Busserine, Saint-Barthélemy III et Picon.
Par Fabien Ribéry, L’intervalle.
Dans ses images, il n’y a pas d’habitants, mais les signes de leur présence, du linge étendu sur les balcons de béton, des vélos, des échelles, le bric-à-brac de la vie.
Fabrice Ney cherche dans la rigueur des formes à objectiver par la vision nos cadres d’existence.
Aucun moralisme ou discours facile, mais de la géométrie, des points de vue d’architecte, des règles et des calculs.
Voici la vie des classes laborieuses en nuances de gris, voici le ciment, voici les voitures de la France des Trente Glorieuses.
Fabrice Ney observe les routes, les accès, les points de passage.
« Travailler sur des séries, explique le photographe, est une manière de déborder l’aspect anecdotique de la prise de vue, en évitant de recourir à une composition trop arbitraire et bavarde. Le cadrage implique un point de vue physique et narratif. Cadrer au plus proche des liens entre les choses maintient la cohérence du projet et consolide un sentiment d’unité de l’espace et du temps du parcours. Mais cette unité reste toujours une construction. »
Organismes, organicité, logistique.
Des ensembles de grillages et de délimitations, des graffitis : « the police is fun », « la police assassin », « soupçons ».
Des affiches déchirées, des caravanes, un Carrefour.
Et partout cette impression de murs barrant l’horizon.
Il faut loger, concentrer, densifier, ne pas trop dépenser.
Il faut inventer un destin entre la froideur des parpaings, et, peut-être, maçonner sa sensibilité.
Des grilles d’aération, des chiffres (F2), des vitres cassées, des portes défoncées.
Ennui, angoisse existentielle, parcage.
On conçoit le rectiligne, mais c’est le talus, le chemin de traverse, la pierre déplacée, la bouteille coincée sous la porte, qui font vivre.
On entend ici dans le silence des images le vacarme des bulldozers, le roulis des bétonneuses, les cris des ouvriers.
On voit un bureau d’étude, des ingénieurs en chemises à carreaux fumant des cigarettes toutes les cinq minutes.
Des théories d’escaliers.
Rattrapez le niveau, circulez, obéissez.
Des caddies abandonnés, comme des baleines échouées.
Des barres de fer, une boite à lettres, des locaux – une halte-garderie, une association de foot.
Sur une porte déprimante : « Centre médico psychologique départemental ».
C’est Marseille, l’une des plus belles villes du monde, et c’est aussi la rationalité économique, la ségrégation spatiale, la contention des corps.
A sa façon documentaire, et poétique – le parti pris des choses de la zup méditerranéenne -, Fabrice Ney participe de la construction d’une histoire des invisibles encore à écrire.
Fabrice Ney, Zup n°1, Busserine, Saint-Barthélemy III, Picon – Marseille, 1981/1983, textes Fabrice Ney & Jordi Ballesti, Arnaud Bizalion Editeur, 2019, 66 pages