Flore Gaulmier l’image pour se comprendre
Pour la deuxième année consécutive Flore Gaulmier signe le commissariat de l’exposition collective Amorce qui ouvre la programmation 2021 de Maupetit, côté galerie. L’occasion de revenir sur son parcours et sa pratique photographique sur laquelle elle souhaite désormais se concentrer.
Propos recueillis par Christophe Asso
Quel est votre parcours ?
Depuis l’enfance, l’image, m’accompagne, m’entoure. La maison de famille dans laquelle j’ai grandie regorge de peintures, dessins, livres, photographies. Pour certains réalisés par mes grands-parents, maternels et paternels ou bien par mes parents. Ce qui me vient comme souvenir, ce sont mes livres d’enfants. J’étais plus attirée par les dessins. Ce qui me fascinait c’est qu’un dessin pouvait raconter à lui seul un passage de l’histoire. Qu’une image pouvait autant dire que des mots. Mes parents avaient monté leur labo dans notre maison de famille dans le Berry où on venait pour les vacances. Et quand ils ont décidé de s’y installer définitivement, ma première chambre a été ce labo photo, avec l’ampoule rouge au plafond et les fenêtres occultées ! (Rires). Vers 13, 14 ans j’ai eu mon premier appareil photo Kodak flashcube. Je partais dans la campagne faire des images. Avec du recul je pense que c’était certainement un refuge, un espace de liberté qui me permettait de m’exprimer. C’était le plaisir de découvrir ce moment privilégié où on est face à quelque chose dont on veut en faire une image. Après le lycée, je me suis inscrite dans une école photo privée à Paris, la MJM. Quand je suis rentrée dans le laboratoire, je n’avais plus de doute à vouloir être photographe. Les cours étaient assurés par trois photographes qui venaient de l’ENSP d’Arles : Nicolas Feodoroff, Stanilas Amand et Erick Gudimard. Le diplôme en poche, je suis partie à Prague presque 2 ans. Durant ces années j’ai photographié principalement l’architecture dans le paysage avec mon moyen format. Mon premier plan représentait souvent un élément naturel du paysage qui conduisait le regard vers le sujet. À l’époque je regardais pas mal de photographies d’architecture, toutes époques confondues, j’avais une préférence pour les années 30. Le moyen format a été une vraie découverte dans ma pratique et mon rapport à l’image, je me suis rendue compte que j’étais plus à l’aise pour la composition avec ce format. J’aimais ce rapport avec l’appareil plaqué sur le torse. Je ne l’ai plus lâché ! En 1992 j’avais postulé en tant que candidate libre à l’école des Beaux-Arts de Marseille. Ça a été une expérience assez étrange avec un jury pas du tout sympathique et extrêmement pédant, presque malveillant. Mais par contre Marseille m’a complètement subjugué ! C’était au mois de mai, j’y suis restée 3 jours, ça été une grosse claque ! Cette lumière, cette ville très dynamique, très dense, cette proximité avec les calanques et la mer. Tous les ingrédients étaient réunis, pour être autant charmé et agacé par cette ville en un tour de main. 1995 est l’année de notre installation avec Erick et notre fille aînée de 6 mois. Quoi de mieux que la photographie pour comprendre une ville. Comme à Prague j’ai repris la même formule, architecture/paysage. Au Redon et sur la nationale qui mène à Aubagne. La famille s’est agrandie, Erick lançait les prémisses des Ateliers de l’Image, je travaillais chez Photo Station. En 2009 j’ai rejoint l’équipe des Ateliers de l’Image, devenu le Centre Photographique Marseille. J’occupais alors le poste de responsable des actions éducatives et pédagogiques. Durant 10 ça été une complicité étroite avec des photographes intervenants, des enseignants pour construire ensemble des projets qui conduisaient les élèves à les sensibiliser à la photographie. Par l’image les conduire à regarder leur environnement, être acteur en pratiquant, mettre en valeur leurs singularités. Placer un cadre pour s’exprimer via le langage photographique. Ça a été des moments forts.
Quelle est votre démarche photographique aujourd’hui ?
J’ai quitté ce poste il y a un an et demi après 10 ans d’activité et il a fallu s’en remettre ! J’étais face à moi-même, face à un nouveau départ. Je n’avais pas fait d’images depuis longtemps et c’est revenu par hasard. J’étais chez des amis dans l’Hérault, le printemps pointait son nez. J’ai regardé ce qui se présentait à moi, j’ai ramassé une feuille, on devinait par sa morphologie les traces d’une vie. Je l’ai exposée devant le soleil et par transparence sont apparues toutes ses veinures, sa texture. J’en ai fait une photographie en noir et blanc. Elle m’a bouleversée ! Je ne savais pas exactement pourquoi. Puis je me suis rendue compte que cette présence du vivant autour de moi était certainement ce que je recherchais. Ce vivant me rendait vivante. Ça a été une révélation ! Et cette image je ne l’avais pas faite en format carré mais en 4×3 et il y avait un truc qui se passait ! (Rires) Deux semaines après nous étions confinés. Depuis un an je me consacre à photographier le végétal en noir et blanc. Je m’approche au plus près de la plante dans son environnement pour en saisir sa texture, ses formes, sa lumière, sa fragilité, sa beauté. S’en est suivie l’envie d’expérimenter le cyanotype. Au début c’était plus de la curiosité, le plaisir de retrouver les étapes de préparation pour révéler une image. Finalement il s’est imposé à moi comme une écriture qui me convient pour dessiner les racines, le végétal. Par ce procédé j’essaie de créer des volumes, de la profondeur. Je réfléchis à comment articuler toutes ces images, à donner une forme. Pour l’instant j’associe mes photographies à des recherches sur les propriétés et l’histoire de la plante, que je poste sur Facebook : petite histoire du végétal. Je m’aperçois de plus en plus que je tente, en réaction à l’appauvrissement grandissant de notre relation au vivant, de montrer par mes images une manière de se comprendre soi même. Voire d’inviter l’humain à devenir soi-même en assimilant le végétal. Avant ce travail j’ai réalisé à partir d’une sélection d’images très hétéroclites des cartes postales signées photoFlore. Tout a commencé quand une amie galeriste, Pauliina Salminen, qui allait fermer sa galerie Deux bis, m’a proposé de faire partie d’une exposition collective d’artistes femmes qu’elle organisait. Je lui avais parlé plusieurs fois de mon envie de faire des cartes postales de mes images en format carré. La carte postale symbolise une chaîne du plaisir. On se fait plaisir ou on fait plaisir à quelqu’un. Mon image voyage, ne m’appartient plus. J’ai ensuite proposé mes cartes postales à Damien Bouticourt, directeur de la librairie Maupetit, qui a gentiment accepté. Aujourd’hui on les trouve aussi dans deux autres librairies, celle du Mucem, et Histoire de l’Oeil.
Comment est né le projet Amorce ?
L’aventure d’Amorce a démarré en octobre 2019, Damien était embêté parce que l’exposition prévue en janvier 2020 était annulée. Il m’a laissé une carte blanche pour penser à une exposition collective de photographes. Son souhait en quelques mots : un début, un commencement, une première. J’ai tout de suite éliminé le concept de « la première exposition ». Aujourd’hui l’idée forte d’Amorce est d’exposer des photographes endurcis qui doutent, s’interrogent vis-à-vis d’une démarche artistique récente ou pas, qui selon moi ont des racines solides. Arnaud Bizalion nous accompagne en réalisant le fanzine dédié à cet événement annuel. C’est une belle équipe !!
Quels sont vos projets ?
J’écris des projets qui allient la photographie et la nature, la place de l’homme dans le paysage, que j’adresse aux parcs régionaux ou nationaux. Je continue également à mener de temps en temps des ateliers en milieu scolaire avec l’association Image Clé. Mais surtout je me concentre sur mon travail personnel pour lequel j’ai un projet d’exposition et d’édition. Et en tant que commissaire il y aura la troisième édition d’Amorce l’année prochaine.
Amorce #2
Géraldine Arlet, Edwin Fauthoux-Kresser, Amandine Freyd, Valentine Vermeil
Maupetit, côté galerie, jusqu’au 13 février 2021