Né en 1970 à Marseille, vit et travaille à Marseille.
Jour de voyage
Si Stéphane Guglielmet rêve d’ailleurs, il part le chercher en train. Sans rien attendre, comme si cette errance créative née d’une envie d’imprévu amenait à lui des visions inattendues. Depuis trois ans, cet explorateur du « non loin », adepte du rail, arpente notre territoire commun sans bagage, l’appareil à la main. Et dessine en images sa géographie secrète. Son pays, son point de vue. Il creuse un sillon photographique loin du pittoresque comme on trace un chemin qui forme, à vive allure, un récit. Un carnet de transports intérieurs dont les jalons sont le mouvement et la marche. Une quête intime qui invite simplement, sans mise en scène et avec pudeur, à être le passager clandestin de son poème visuel, ballade composée avec l’aléatoire de la flânerie. Une sorte d’appel à franchir un pas de côté, à saisir cet instant fugace, à peine entrevu…
Son objectif est braqué sur l’ordinaire, à la manière d’un Walker Evans qu’il vénère. Lui aussi a ce goût pour l’anonyme jamais anodin, le quotidien révélé dans de menus riens. Mais ses photographies sont portées par un je-ne-sais-quoi très personnel, dérobé à la conscience presque par accident. Sa série nomade se traverse comme une enfilade de fenêtres au bord desquelles on pourrait priser le sel du moment, cet éternel absent. Une voie balisée de brèches pour apercevoir à travers le brouillard du banal les contours des faubourgs. En effet, ses scènes plongent dans un réel peuplé de nuages, fracturé par les lignes électriques. Elles laissent poindre une rumeur urbaine dont les éléments d’architecture témoignent de l’univers familier de la frontière : ce non-lieu entre la campagne et la ville, ces zones volées à la nature où l’homme impose sa marque. Et puis, il y a les gares et autres carrefours, les trains à l’arrêt et les lumières douces du passage du jour à la nuit. Promesses de promenades, les cadrages jouent avec les reflets et les ombres fugaces. La répétition des traces de vie comme autant de signes à suivre, la fréquence de détails à repérer, mettent à jour un monde changeant. Ici et là, des présences fragiles, fuyantes mesurent l’intervalle entre le présent, un passé rêveur et un avenir incertain, comme l’abîme entre le minéral et le végétal. Ces instantanés qui entretiennent l’impression d’un déjà-vu, souvenirs d’autres aiguillages ou de cités perdues, exhalent alors l’air de la périphérie.
L’expédition suggestive de Stéphane Guglielmet traque le hasard, l’imparfait. Peut-être est-ce là l’unique fil conducteur de cet ensemble d’images équivoques, qui « marchent ensemble » pour mieux susciter des associations d’idées éphémères. Versatiles et transitoires comme les détours ferroviaires que ce chef d’équipage souligne à coups d’allégories légères. Un itinéraire, une méthode qui façonnent des espaces entre-deux où le regard attentif du plasticien marseillais est aimanté, sourd au tumulte du trajet, par le paysage mouvant.
Gwenola Gabellec