Cyril Barbotin Révéler la vérité de l’image
Acteur incontournable de la photographie à Marseille le Studio AZA œuvre au service des photographes depuis plus de 40 ans. Rencontre avec le maître des lieux : Cyril Barbotin.
Propos recueillis par Christophe Asso
Quand et comment est né le Studio AZA ?
Le Studio AZA est né en 1975. C’est mon père André qui l’a monté après avoir été photo-journaliste. Il s’est spécialisé dans la photographie industrielle de restauration rapide. Pour proposer une prestation complète, il faisait à la fois les prises de vue et les tirages. Il avait choisi le procédé Cibachrome qui n’était pas commun à l’époque. Après s’être formé en Suisse, il a monté son labo à la rue Dragon avec une petite équipe. Les locaux étaient un peu cachés et sa clientèle venait essentiellement de Paris. Il avait une grande cave avec des agrandisseurs et une développeuse. Il sortait des tirages grands formats uniquement en projection d’après diapos et en Cibrachrome. Ça a tout de suite marché par rapport aux concurrents comme Kodak ! Grâce à ce procédé, les tirages avaient une durée de vie quasi illimitée et un rendu incroyable. D’ailleurs, on a toujours des tirages encore flambants neufs qui datent de cette époque. C’était une activité principalement industrielle très différente de ce que l’on fait maintenant.
Comment la transition numérique a-t-elle modifié votre manière de travailler ?
En 1996, un été où je ne savais pas trop quoi faire, mon père m’a proposé de travailler avec lui au labo. Il avait besoin de quelqu’un pour l’aider et j’ai tout de suite accroché. J’avais 26 ans. Je suis resté, je me suis formé au tirage argentique couleur Cibrachrome, ce qui n’était pas une mince affaire. A cette époque-là, le numérique arrivait et le labo n’était pas du tout équipé. On commençait à voir passer des tirages. À Marseille, certains labos s’étaient déjà équipés et évidemment les fabricants nous démarchaient. À l’occasion d’une visite chez un confrère, j’ai découvert Photoshop. Quand j’ai vu ce qu’on pouvait faire avec les images, je me suis dit que l’avenir était là. On a acheté un ordi, un scanner et une imprimante, et on a essayé de comprendre comment ça marchait. J’y passais des heures. En 2000, mon père est parti à la retraite et j’ai repris le studio. A ce moment-là, on avait essuyé pas mal les plâtres avec des qualités d’encres et de papiers très aléatoires. Les fabricants se cherchaient, tout se développait très vite. Tous les mois, il y avait des nouveautés : machines, papiers, logiciels. Très rapidement on a commencé à voir arriver des artistes plasticiens, des photographes auteur, des personnes qui voulaient faire quelque chose d’un peu différent, sur des supports différents et avec une manière de travailler différente. Le bouche-à-oreille a commencé comme ça. Pour nous, le basculement vers le 100% numérique a vraiment eu lieu en 2003 lors du déménagement à la rue Edmond Rostand, lorsqu’on a abandonné toute l’activité argentique, notamment pour des raisons de place. Les imprimantes EPSON étaient devenues très performantes, on se faisait vraiment plaisir avec des tirages sur papiers Hahnemühle, Canson et sur les premiers papiers japonais. À partir de 2005, EPSON a sorti le label Digigraphie. J’en avais entendu parler un peu par hasard sur internet. J’ai tout de suite appelé le directeur des ventes d’EPSON à Paris. Ils sont venus chez nous faire un espèce d’audit et nous avons été labellisés. À l’époque, c’est ce qui manquait pour rassurer toute la chaîne : du photographe à l’acheteur, en passant par le galeriste et l’agent. Il y avait clairement une méfiance envers l’impression jet d’encre par rapport à l’argentique alors que déjà sur certains aspects on était meilleurs. Puis les techniques ont continué de s’améliorer et depuis une dizaine d’années on ne se pose même plus la question niveau durée de vie et qualité. On peut dire aujourd’hui que les techniques d’impression se sont stabilisées, c’est plus sur le choix des papiers que l’offre évolue. Nous avons actuellement une trentaine de papiers différents. Ça correspond à la tendance actuelle de revenir à quelque chose de palpable et de sensible, même chez le grand public.
Comment vous tenez-vous informé des nouveautés au niveau du matériel, du papier ?
Par une veille internet sur l’actualité de la photo en général et plus particulièrement sur le matériel, les dernières machines, pour lesquelles on est également sollicité par nos fournisseurs. Pour le papier, on est référencé par Canson et Hahnemühle, du coup ils nous envoient leurs nouveaux papiers dès leur sortie. Il y a également les salons professionnels comme le CPRINT à Lyon où je me rends chaque année pour rencontrer les fournisseurs et les confrères.
Aujourd’hui qu’est-ce qui fait la valeur d’un tirage photographique ?
La valeur d’un tirage c’est la combinaison du travail de tout le monde, le tireur, l’encadreur. Tous ces process mis bout à bout vont faire que l’oeuvre va exister de la meilleure manière. Pour chaque type d’image on va essayer de trouver le papier qui correspond le mieux en faisant des tests car même si d’instinct on pense savoir vers quel papier se diriger, on a souvent des surprises ! Le nombre de tirages a également une grande importance. C’est une question qui revient souvent de la part des photographes et ça dépend souvent de leurs parcours.
Comment définiriez-vous la relation qui lie le photographe et son tireur ?
Il y a une vraie fidélité de la part des photographes. À nos débuts, quand on faisait uniquement de la photo industrielle, on n’était pas dans cette logique. Aujourd’hui, on est plus dans l’affectif parce qu’on est face à un travail d’auteur qui demande de la réflexion et de l’engagement. On est là pour valoriser l’image et surtout ne pas la trahir. Comprendre la démarche de l’auteur et aller dans son sens, tout en aidant à faire les bons choix. On conçoit parfois même des expos avec eux de A à Z, on fait des éditing et des plans d’accrochage. Pour certains, on est complètement intégré à leur processus de travail. Une fois les prises de vue réalisées, ils savent que l’étape du tirage est déterminante pour leurs images. C’est pourquoi la relation qui se tisse est souvent très forte et durable. Certains clients sont devenus des amis. Il y a beaucoup de confiance. On fait aussi de la pédagogie concernant le matériel à acquérir car un mauvais écran peut être une vrai catastrophe… et pour tout le monde, car on va passer plus de temps à rattraper ce que le client a cru être la vérité. Il vaut mieux ne pas acheter le dernier boitier mais se concentrer sur l’acquisition d’un écran.
Dans les nouveaux locaux du Studio AZA vous avez un espace d’exposition en plus du laboratoire, quelle était la volonté de départ ?
On a déménagé en 2017 au boulevard de la Libération. Les locaux étant suffisamment grands, on a aménagé un espace galerie. Cela nous permet de montrer à la fois des travaux qu’on aime et notre savoir-faire au travers de tirages, des finitions et d’encadrements exposés dans de bonnes conditions. L’idée est de véritablement se faire plaisir avec les photographes que l’on montre. C’est un espace qui est géré par l’association 1Cube. Avec Arnaud Brunet, on définit une programmation à l’année. Il se charge de tout l’aspect logistique, accrochage/décrochage, vernissage, communication, relations avec les auteurs et nous on se charge évidemment de toute la production et de toute la mise en forme !