Amorce, quatre auteurs en apesanteur, une exposition photographique marseillaise
À l’occasion de l’exposition Amorce ayant lieu actuellement à la librairie Maupetit, de Marseille – direction Damien Bouticourt -, j’ai souhaité demander simplement à ses quatre auteurs – n’étant pas sur place pour en produire une analyse détaillée – de présenter en quelques mots leur série.
Par Fabien Ribery, L’Intervalle
Il m’a en outre paru important de recueillir la parole de Flore Gaulmier, qui en assure le commissariat.
Ayant découvert l’annonce de cet événement photographique dans le premier numéro d’un fanzine conçu et édité par Arnaud Bizalion, j’ai voulu également le questionner sur la création de celui-ci.
En pensant pour cet article inhabituel au beau titre d’un livre de Jacques Derrida, «politiques de l’amitié ».
Frédérique Dimarco : La série de photographie Le tendre espace est un recueil de photographies argentiques noir et blanc qui joue sur le basculement entre l’imaginaire et l’abstrait. Ainsi se créée une atmosphère enveloppante, un univers onirique qui représente ma façon d’aller à la rencontre du monde, de m’y connecter intimement, de m’y perdre…
Le tendre espace est ambigu, il peut être perçu comme doux et serein mais aussi comme inquiétant. J’ai voulu un ensemble cinétique et rythmé qui amène à l’abandon, à l’égarement. Il n’y a ni unité de lieu ni unité de temps. Les photographies généralement floues participent activement à ce ressenti.
Voici un extrait de la préface écrite par Michaël Serfaty pour le livre Le tendre espace publié chez Arnaud Bizalion Éditeur en 2019 [article à retrouver dans L’Intervalle] : « Le sentez-vous… le tendre espace… on le pensait furtif, enfoui, endormi, mais il est là entre les images, il est en nous, moelleux, suggéré à chaque intervalle, comme une neige fraîche, même pas une mémoire, avant une sensation, plutôt une humeur, un nuage effiloché, une haleine à la menthe.
Qu’importent les motifs, le noir sur blanc, ou le blanc sur noir, quelle importance, c’est juste un élan, une glissade au cœur des crépuscules, un chemin ouvert dans la chair pâle d’une poésie apaisante. »
Brice Garcin (série Origin) : « Aventure du quotidien, hors de notre environnement terrestre, l’expérience de la baignade approche temporairement ce territoire à la fois familier et tellement étranger qu’est le monde sous-marin.
Habitué de la photographie de voyage et d’aventure, j’ai cette fois voulu m’immerger dans ce monde de silence et me laisser porter par une approche plus introspective, contemplative, à l’image des figures qui flottent au-dessus de moi, pour en retrouver l’essence.
Dans ce ballet improvisé, les corps anonymes semblent léviter, comme en symbiose avec cet élément translucide, en une chorégraphie lente et méditative.
Sous la lumière modulée par le prisme des vagues, dans cette cathédrale liquide, les corps semblent alors retrouver une apesanteur primitive, un état de grâce, de paix et de silence. Un retour à l’origine de notre être et de nos sensations.
Le travail du noir et blanc m’a permis d’obtenir une certaine abstraction du milieu sous-marin afin de mettre en avant les différents rythmes qui l’animent, proches d’une gestuelle calligraphique. La légèreté de l’équipement utilisé pour ce projet et la liberté ainsi ressentie a également été le moteur de la transcription d’une certaine perte de repères, inhérente à cette perte de pesanteur qui fait aussi toute la qualité de cette expérience.
Caroline Cutaia (série Le poids des choses) : Quand j’ai découvert le travail des autres photographes choisis par Flore Gaulmier pour cette première édition d’exposition à la galerie Actes sud de la librairie Mautpetit, j’ai pensé à cette série en cours de fabrication que je venais tout juste de renommer Le poids des choses. C’est une série réflexive et personnelle composée d’images déjà réalisées, qui fonctionne par association le plus souvent et qui s’accordait à mon sens assez bien au travail des autres artistes.
Une image peut-elle peser ?
A priori, seul le sens du « toucher» pourrait parvenir à donner une bonne affirmation.
On dit pourtant d’un ciel chargé qu’il est lourd, d’un texte plaisant qu’il est léger, de quelqu’un d’influent qu’il pèse dans la partie, d’un fardeau qu’il est un poids.
Dans mes images, il est question de perception émotive, c’est la plasticité des choses qui m’intéresse, la sensation dans l’image.
Ma photographie se situe entre ce que je sais et ce que je ressens.
Je pense essentiellement couleurs, matière, poids, éléments, pour tout sujet.
Ce qui m’oblige à parler davantage d’expérimentation que de posture documentaire ou narrative.
En 2019, en plus de mon travail de photographe, je me suis mise sérieusement à la Céramique. Il y a dans la scénographie un « petit pont » en terre crue, installé avec mes images, il symbolise ce passage de l’image (2d) vers le volume (3d).
La photographie est la technique qui permet d’enregistrer une image mais ce terme « photographie » désigne également l’image obtenue.
J’envisage cette dernière comme un objet.
Que la photographie soit dans un livre, sur un écran ou accrochée à un mur, elle prend une place, une place qui la définit. Tout comme un objet, trouve sa place en fonction de son utilité.
Quand on veut fabriquer un objet en terre, on prend un volume mesuré de matière : cette mesure est le poids.
C’est le poids de la matière première qui définit la taille de l’objet, son volume.
Ce poids, dont l’unité de mesure est le gramme, ne sera pas le même, une fois l’objet achevé.
Car les éléments (feu, air, eau, terre) vont modifier l’état de la matière.
Cette manière d’envisager la création d’un objet, où les sens et les éléments s’allient à chaque étape de la fabrication, a modifié officieusement mon rapport aux images que je fabrique.
Une image peut-elle peser ? Si oui, quelle est son unité de mesure ?
Dans chaque image de cette série, la question est posée.
Le poids est la force de la pesanteur exercée par la Terre sur un corps.
Par extension figurative, le mot poids désigne également, l’importance (quantifiée ou non), donnée à un objet ou un concept, dans un ensemble.
Pascale Anziani (série L’âme intranquille ou la chronologie d’une insomnie) : Dans ma pratique de la photographie, un des chemins que j’affectionne est celui l’exploration de soi. Je cherche à créer des récits inspirés de l’intime, à transformer des interrogations personnelles.
J’ai un attrait instinctif pour l’aspect « brut » de la réalité, c’est à dire sans artifice, sensible et poétique. Je photographie ce qui me touche. A la fois dans une quête de simplicité et dans une recherche plastique.
La photographie me permet d’être pleinement dans l’instant.
Je photographie à l’argentique (au 50mm) pour tout ce qu’offre la pellicule, sa matière, sa sensualité, sa chaleur mais aussi son imperfection; et surtout pour ce rapport particulièrement lent au temps.
Tout a commencé à travers lui
Mon carnet de nuit, planqué dans mon chevet
Celui où je vide, je déloge, j’étudie
Le désordre des pensées, le surgissement des idées
Celui où j’écris mes insomnies
La nuit je vis.
Parfois agitées, parfois créatives, parfois calmes et hors du temps, j’ai des insomnies.
J’ai construit cette série d’images comme une chronologie de ces insomnies ; en essayant de retranscrire mes ressentis dans ce moment si particulier. Depuis le réveil jusqu’à l’endormissement, c’est une plongée dans les impressions. Impressions multiples, que je décortique « méthodiquement ».
Il s’agit d’évoquer aussi le passage, la scission, le songe éveillé, où le flou se conjugue avec l’extrême précision. Ainsi se mêlent aux images en noir et blanc quelques images en couleur – bleues.
Questions à Flore Gaulmier : Comment avez-vous choisi les quatre artistes de votre exposition ? Cherchiez-vous à construire des complémentarités de points de vue ?
Quand on m’a confié le commissariat, il n’y avait qu’une seule exigence, les travaux des photographes devaient être montrés pour la première fois. Mon choix s’est fait très vite. Je suis et je vois évoluer le travail de Pascale Anziani depuis quelques temps. Pour celui de Brice Garcin, j’ai été témoin de la naissance de ses images prises sous l’eau. Caroline Cutaia m’avait présenté son univers il y a un an et quant à Frédérique Dimarco j’ai découvert son livre aux rencontres d’Arles. Hormis leur point commun qui est de dévoiler leurs univers pour la première fois au public, ils forment à eux quatre une harmonie par le choix de porter un regard doux, sensible, intime sur leur sujet. C’est ce qui m’a touché. Par ce lien qui les rassemble, j’ai lu un dialogue entre leurs images, une ligne artistique qui nous conduit vers notre for intérieur.
Comment avez-vous pensé votre commissariat à la librairie Maupetit ?
Quand on est commissaire d’exposition, on est un chef d’orchestre, face à un espace à remplir, en étant à l’écoute des photographes, ce qui est bien normal et nécessite du soin dans la relation. Ce qui me motive pour affiner la scénographie dans les moindres détails, c’est le public. C’est de penser à lui quand il vient s’immerger dans l’exposition. Qu’il soit attiré, happé par les images.
Je connais bien cet espace d’exposition et les habitudes du public. Pour cette exposition, la distribution des murs pour chaque photographe s’est faite de façon fluide et collective. Par la suite, j’ai laissé les photographes me proposer une présentation virtuelle de leur accrochage. Sans trop m’inviter dans leur montage tout en donnant quelques conseils. Ce qui m’a permis de m’en faire une vision d’ensemble pour l’accrochage.
Mon rôle a pris du sens au moment de l’installation où tout se joue. Il s’agissait d’accompagner le photographe, de l’aider à prendre petit à petit de la distance d’avec lui-même, afin de s’accorder à un ensemble sans trop s’éloigner de soi. Pour certains, les schémas pensés auparavant ont bougé.
Questions à Arnaud Bizalion : Votre premier BPF, Biza Photo Fanzin, vient de paraître à l’occasion de l’exposition Amorce. De quelles nécessités procède-t-il ?
Arnaud Bizalion : L’idée est de produire un support aux événements, aux situations, aux regroupements. Monographies, sujets, projets, écrits et images sont au rendez-vous. L’espace du zine est libre, autogéré par les auteurs et l’éditeur dans une forme chaque fois unique. Inventer à chaque parution, être le reflet de la foisonnante production photographique et réflexion autour de la photographie. Deux mots : photographie d’aujourd’hui.
Quel rythme de publication comptez-vous lui donner ?
Parution irrégulière. Au gré des rencontres, des événements, des opportunités, et des partenariats.
Comment le diffusez-vous ?
Diffusion via le site arnaudbizalion.fr, par le réseau de distribution de Pollen en librairie, sur les salons, foires, labos, galeries.
Après la création récente du site web conçu par Christophe Asso, Photorama Marseille, la cité phocéenne est-elle en ébullition photographique ?
La ville n’est pas en ébullition photographique. Elle suit un processus naturel d’ouverture, d’expériences, de tentatives. Le site Photorama s’inscrit dans ce besoin de rassembler, faire connaître. Il vient à point nommé pour montrer l’ampleur de la photographie dans la cité phocéenne. Marseille a toujours attiré artistes, écrivains, gens d’ailleurs qui s’installent. Marseille est un port où l’escale peut durer, Marseille fascine les gens d’images. C’est une ville qui génère une énergie dans tous les domaines, la photographie en fait partie.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Exposition Amorce, photographies de Pascale Anziani, Caroline Cutaia, Frédérique Dimarco et Brice Garcin, commissariat Flore Gaulmier – espace Côté Galerie, à la librairie Maupetit, du 16 janvier au 15 février 2020